Le tribunal administratif de Paris, saisi en référé, a jugé que l’installation-performance de Brett Bailey ne portait pas atteinte à la dignité humaine. Elle ne sera donc pas annulée.
Mardi, plusieurs associations ont saisi en référé le tribunal pour demander l’annulation d’Exhibit B, qui se tient depuis le 7 et jusqu’au 12 décembre au centre culturel du CentQuatre à Paris. La performance artistique reçoit de vives critiques depuis fin novembre et sa présentation au Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis. Le Collectif contre Exhibit B reproche à cette exposition de reproduire des « zoos humains » et de porter atteinte à la dignité humaine en présentant des comédiens noirs dans des situations qu’il juge dégradantes. Le metteur en scène sud-africain prétend au contraire dénoncer l’esclavage, le colonialisme et le racisme à travers son œuvre. Dans ce contexte, le Centre Dumas Pouchkine des diasporas et cultures africaines (CDPDCA), et les associations Alliance noire citoyenne et l’Amozaik s’en sont remis à la justice, mais n’ont pas obtenu gain de cause.
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Des personnes dans des cages ?
Dans leur requête, les plaignants avançaient que l’installation présentait « dans des cages des hommes et des femmes noirs ». Ils arguaient de notamment la jurisprudence du Conseil d’Etat dite “du lancer de nains”, qui permet de limiter la liberté d’expression lorsqu’une représentation porte atteinte à la dignité humaine. Durant l’audience, Me Maati, leur avocat, a ajouté qu’ « indépendamment des objectifs affichés par le metteur en scène, le spectacle Exhibit B heurte profondément la sensibilité de certaines populations, dont les ancêtres ont été victimes de l’esclavage et du colonialisme ».
A la demande de l’avocat de la Ville de Paris, Me Froger, la directrice de production au sein du 104, Mme Sanerot, a pu rappeler avec précision la manière dont se déroulait ce spectacle. Elle a notamment souligné qu’un seul des “tableaux vivants” interprétés par les comédiens noirs présentait une femme derrière un grillage. En outre, ce grillage se referme sur le spectateur, auquel un écriteau donne des explications sur l’apartheid. La défense a également relevé que “le spectacle en cause avait pour objet de dénoncer, sans ambiguïté, le racisme ; que la mise en scène renforçait la dignité des acteurs, conformément aux indications du tableau de présentation du spectacle.”
En revanche, parmi les plaignants, aucune personne présente à l’audience n’a pu témoigner sur le spectacle, faute de l’avoir vu.
Pas d’atteinte à la dignité humaine
Deux libertés fondamentales se devaient d’être conciliées ici, avançait la défense : d’une part, la liberté d’expression, et d’autre part, la dignité humaine. Mais pour le tribunal administratif, Exhibit B ne porte pas atteinte à cette seconde liberté, car elle dénonce “sans ambiguïté, l’asservissement des populations noires lors de la période coloniale ainsi que des traitements contraires au principe de respect de la dignité humaine ou aux droits de l’homme dans le monde contemporain”.
“Montrer, ce n’est pas faire l’apologie”, résume Agnès Tricoire, de la Ligue des droits de l’homme, association qui a pris la défense d’Exhibit B. L’avocate tient à marquer la différence entre ce spectacle et celui de Dieudonné M’Bala M’Bala, interdit il y a quelques mois :
“Aucun spectacle ne doit être interdit a priori, et c’est la position que nous avions prise dans l’affaire Dieudonné. Il n’y a donc pas pour nous deux poids deux mesures, contrairement à ce qu’on peut lire ici ou là. Mais la différence, c’est que Dieudonné a été condamné à de multiples reprises pour antisémitisme, alors que ce spectacle est important car il participe de la lutte antiraciste.”
Exhibit B continuera donc de se dérouler comme prévu jusqu’au 14 décembre au 104. Pour prévenir tout débordement, un fort système de sécurité a été déployé dans les rues alentours ainsi qu’à l’entrée du centre culturel. De son côté, le Collectif contre l’exposition, faute d’avoir obtenu la déprogrammation, se réjouit tout de même du raccourcissement de la tenue de l’installation : initialement prévue jusqu’au 14 décembre, elle ne se jouera finalement que jusqu’au 12.
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