Entre New York et Milan, l’Italien Morizio Cattelan a fait escale à Brétigny-sur-Orge et laissé derrière lui une installation efficace, drôle et subversive.
Un écriteau suspendu indique qu’il s’agit bien de la salle d’exposition, un texte est accroché au mur, comme il se doit le catalogue de l’artiste est à sa place. Tous les éléments qui caractérisent une exposition sont présents, seulement l’espace est vide, ou presque : à l’extrémité de la longue salle, une corde de gymnase descend du plafond et il suffit de tirer dessus pour enclencher le « système » Cattelan. Dès lors, l’artiste italien nous tient par le bout du nez. Comme dans le reste de ses oeuvres, il s’amuse, le fourbe, nous file des claques tout en nous caressant la joue, se moque, ironise, nous flatte, en un mot, déstabilise. Cette corde, donc, actionne une cloche dont la résonance tonitruante nous plonge immédiatement dans l’embarras. Où veut-il en venir ? C’est en sortant du bâtiment que l’on s’aperçoit de la supercherie. Cattelan a affublé le centre culturel, un gros gâteau moderne échoué au milieu d’un parking désert, d’une copie strictement identique (mais factice) du clocher de l’église du XIIème qui domine le site à 100 m en haut d’une colline. Même orientation, même inclinaison du toit, même couleur de brique, les deux clochers correspondent de point en point. Aussi, cette translation engage un discours critique dans les deux sens : d’un côté la réplique profane du clocher, que quiconque peut faire sonner à n’importe quelle heure, est un blasphème à l’égard du lieu de culte qui, lui, est réglé sur les horaires sacrés ; de l’autre, la jolie petite église se moque de la prétention architecturale du bâtiment moderne par le truchement de la réplique. D’un côté comme de l’autre, le discours est sans complaisance. Coincé entre l’église, unique vestige dérisoire dominant le béton et la ville moderne impersonnelle, tendance « buffet froid », le bâtiment « détourné » ne sait plus trop où il en est dans sa ville.
Artiste polymorphe, Cattelan écarte toute continuité stylistique pour proposer à chaque fois une provocation inédite. D’une subversion à l’autre, cet imposteur irrévérencieux met en place des procédés sournois qui interrogent l’identité précaire de tout système convenu. « Car tout système, selon lui, même le plus perfectionné, contient une marge d’erreur. Un virus peut donc s’y introduire.« Se définissant comme un tricheur professionnel, il s’introduit dans le système, en utilise les règles pour les contourner et attaquer, par surprise. C’est ainsi qu’à la biennale de Venise de 1993, il sous-loue à une marque de parfum l’emplacement qui lui est réservé. Ailleurs, il expose le constat de police du vol de l’objet qu’il était censé exposer. Pratiquant la cruauté avec délectation, certaines oeuvres, comme ce squelette de chien qui tient un journal dans sa gueule, déstabilisent les clichés avec un humour corrosif. Dans Bidibidoobidiboo, une installation qui nous montre un écureuil qui vient de se flinguer dans sa cuisine en Formica, l’effet comique est à double tranchant. A peine l’hilarité provoquée par l’absurdité de la scène a-t-elle disparu que l’on regrette, honteux, d’avoir pu rire d’un si grand malheur. Pauvre bête, en effet, dont le sort nous renvoie à une pratique exclusivement humaine. S’il nous arrive de rire dans les situations les plus dramatiques, c’est pour éviter l’effondrement. Entre burlesque et pathétique, le travail de Cattelan n’épargne rien ni personne. Lorsqu’il affuble son galeriste Emmanuel Perrotin, réputé pour son appétit sexuel, d’un costume de lapin rose en forme de sexe géant, l’artiste confronte deux effets : si la représentation d’une bite de deux mètres de haut relève du comique, l’idée que le galeriste ainsi costumé soit puni par son travers libidineux renvoie manifestement au pathétique. Même si l’effet comique persiste malgré tout, le rire laisse place à des expériences qui se révèlent infiniment moins « légères ». Par-delà une lecture triviale du propos se joue une perception du monde particulièrement incisive. Derrière le dispositif mimétique du clocher, apparente anecdote ludique, l’artiste interroge l’identité d’un lieu : une ville de banlieue qui se cherche sans le savoir. Cattelan est là pour nous le rappeler.
Sébastien Pluot
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