Jeune photographe toujours soucieuse de mêler regard d’auteur et travail documentaire, Laure Vasconi a fait deux longs voyages dans la Russie de l’après-communisme. Au lieu des clichés spectaculaires sur les nouvelles mafias vus ici ou là, elle a préféré rapporter des images d’espoir de situations plus quotidiennes. En portant plus particulièrement attention aux femmes.
Une carte d’Europe, accrochée dans toutes les salles de classe, avec cette masse rouge au milieu du carré de carton, sur laquelle les enfants de l’après-guerre pouvaient lire, sans trop comprendre, les initiales d’un pays lointain et probablement invisible. Pendant de longues années, l’URSS semblait être un au-delà, tour à tour menaçant ou conciliant, dont on ne verrait rien d’autre, dans sa version civile, que des troupes de danse en tournée ou des fillettes élastiques sur les poutres des gymnases olympiques. Seul le concept d’un système au travers de la parole de ses représentants nationaux laissait entendre les mots créateurs d’un imaginaire univoque. L’Europe d’alors était comme une île où la frontière de l’Est laissait augurer d’une autre terre à quelques miles sur les vagues de notre pensée. L’histoire a voulu, comme sur une autre mer d’Aral, que les phares des ports puissent désormais se rejoindre. L’URSS venait de modifier l’ordre de ses lettres en y ajoutant deux voyelles pour redevenir Russie.
Très vite, les hommes d’images franchirent l’ex-Rubicon pour donner à voir ce qui n’avait été donné qu’à imaginer.
Durant le début de cette décennie, un flot d’impressions visuelles submergea les écrans de télé et les pages des magazines. Quelquefois pour le meilleur, très, trop souvent pour le pire. Les sujets, supposés capter l’intérêt du public, furent choisis autour de la violence et du sexe, de l’argent sale et des yuppies moscovites sans scrupules. Un nouveau mythe venait de se créer sur le principe d’une pensée unique du chaos. Bien sûr les auteurs de ces images n’ont pas inventé ce réel parfois sordide, proche des films d’anticipation américains, bien sûr ils ont témoigné sur l’existant, mais ils n’ont peut-être pas eu le temps, et telle n’était pas la demande, de voir les coulisses du spectaculaire.
Pour ce voyage en Russie, Laure Vasconi n’avait pas de commande d’un journal, pas d’obligation de rendre compte. Libérée du poids de la contrainte, elle raconte, plus simplement, ce que fut sa rencontre avec la Russie et quelques-uns de ses habitants, ou plutôt de ses habitantes. Dans un contexte similaire à celui d’un photographe de presse elle parle de la femme russe comme l’on parle d’un alter ego sans discours ni présupposés.
Elles sont partout présentes, jeunes et belles pour le casting de Miss Russie, fières et stoïques pour un portrait qui parle du souvenir, en bleu de travail comme un rappel de l’époque où l’ouvrière se confondait avec l’ouvrier.
Ces femmes témoignent, au fil des photographies, d’une incroyable force, d’une détermination presque virile à exister dans cette société en proie à toutes les incertitudes. Face à l’à-peu-près de leur vie, à la grisaille de leur environnement, elles tentent d’incarner une image de la perfection pour réussir là où le quotidien a échoué. Cette volonté de créer dans ce monde si flou témoigne d’une énergie porteuse de tous les espoirs. Il y a probablement une part de rêve qui leur fait imaginer ce qu’elles voudraient que leur monde soit. Peu importe, la photographe semble accepter ce nuage d’utopie qui rend ces femmes si belles au travers de son objectif. Que sera la Russie de demain ? Bien fier celui qui peut le dire. Laure Vasconi n’est pas photo-reporter, pourtant elle montre, et c’est de l’info, que ces héritières qui n’ont pas eu d’autre choix que celui d’accepter l’héritage de l’Histoire dessinent aujourd’hui les contours d’un futur qui relève du possible.
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