Dirk Opstaele s’attaque à l’académisme qui mine le théâtre et enfonce le clou en deux spectacles furieusement jouissifs.
« Madame Elvire a pris deux Temesta et ça va mieux, Tartuffe s’est enfilé deux bouteilles de bourgogne au petit déjeuner, il va très bien. » Dirk Opstaele est metteur en scène flamand, le français il l’a appris à l’école et c’est sûrement ce qui lui permet d’adapter avec autant de liberté et sans complexes Tartuffe. En une heure, il nous passe les cinq actes résumé, action, commentaires compris. Il mène sa compagnie, l’Ensemble Leporello, avec la baguette d’un chef d’orchestre, cherchant le rythme, l’harmonie et les dissonances avant le sens. « Je crois que le théâtre souffre d’un très grand malentendu. On veut à tout prix en faire un message qui passerait grâce à des stars. Le théâtre, c’est la mise en scène et le jeu d’acteur. C’est comme une fugue de Bach, une qualité de communication directe énorme, on n’a pas besoin de grand message. Moi, je travaille les textes comme une partition. Je les annote dans le sens du rythme de l’accelerendo et j’essaie ensuite d’occuper la scène avec le plus de contrôle possible, comme un orchestre. »
Sur scène, pas l’ombre d’un effet autre que celui produit par des acteurs très spéciaux qui font personnages et décor à la fois. Après les présentations d’usage, histoire de savoir qui est qui, la fête commence. Si toutes les phrases clés sont conservées « Couvrez ce sein que je ne saurais voir » , c’est sans état d’âme aucun que sont traduits les « Peste soit de la carogne » par un très pragmatique « Quel con celui-là ! ». Quelques onomatopées et exclamations répétées en choeur abrègent les scènes, l’acte suivant est annoncé et ne doit pas durer plus de dix minutes. Les acteurs fonctionnent comme les membres d’un orchestre, tantôt solistes tantôt concertistes, toujours sur scène, ils sont capables de jouer en néerlandais, en allemand, en français ou en anglais à la manière des chanteurs d’opéra. Dirk Opstaele ne donne pas une lecture particulière du texte, il l’utilise comme une forme en soi. Si Un Tartuffe fait partie des hits de sa parade, n’allez pas imaginer qu’il appliquera le principe à l’intégrale de Molière.
Preuve en est, le deuxième spectacle présenté à Créteil, Liaisons dangereuses, met en scène la Feria Musica, un groupe né de l’alliance d’un trapéziste, d’un voltigeur à cheval et d’un musicien. Pourtant, là encore, Dirk Opstaele revient aux sources. « Je ne suis pas historien du théâtre, mais il me semble que de tout temps on a mélangé les formes artistiques. Du temps des Grecs déjà, il y avait la musique, les masques, le texte, les récitants, depuis toujours le théâtre mélange. C’est en ne devenant plus que véhicule de la littérature que le théâtre s’est académisé. C’est comme quand j’entends parler d’un opéra et que l’on décortique chaque élément au lieu de considérer la cohérence de l’ensemble. Je suis furieusement contre cet académisme qui assèche la profession en la spécialisant dans chaque domaine. Avec le cirque, j’ai voulu voir ce que je pouvais appliquer de ma connaissance sur un terrain de sable, la piste, et découvrir là encore une forme artistique indépendante. » Tout ce que l’on peut faire sur une scène avec la matière brute semble être le turbo du moteur créatif de Dirk Opstaele.
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