De la Crimée à la Yougoslavie, de la peinture à la télé, Hélène Puiseux retrace deux siècles d’images de guerre. “Ceci n’est pas une guerre” : parodiant Magritte et Foucault, ce livre nous rappelle d’emblée à l’essentiel il n’y sera pas question de la guerre, mais plutôt de son spectacle, de ses multiples représentations […]
De la Crimée à la Yougoslavie, de la peinture à la télé, Hélène Puiseux retrace deux siècles d’images de guerre.
« Ceci n’est pas une guerre » : parodiant Magritte et Foucault, ce livre nous rappelle d’emblée à l’essentiel il n’y sera pas question de la guerre, mais plutôt de son spectacle, de ses multiples représentations en deux siècles d’histoire. Crayonnée sur le front, peinte dans les grands tableaux historiques qui occupent à Versailles la galerie des Batailles inaugurée en 1837 par Louis-Philippe, photographiée, filmée par Coppola dans Apocalypse now ou rendue inintelligible par une télévision soucieuse de coller à l’événement, la guerre moderne fait sans cesse l’objet d’un traitement visuel qui paradoxalement s’efforce de se faire oublier lui-même : comme s’il s’agissait à chaque fois, dans la proximité du combat et de la mort, de montrer la réalité brute, la vraie guerre.
Tout commencerait donc en 1839, date officielle de l’invention de la photographie, mais surtout année de parution de La Chartreuse de Parme : plongé dans Waterloo, Fabrice del Dongo ne reconnaît pas dans la confusion de la bataille les gravures épiques célébrant la grandeur de Napoléon, il enregistre le douloureux divorce entre le réel et les images. Echec du mythe, de l’aventure épique et de ses représentations brillantes, l’oeuvre de Stendhal coïncide avec la désuétude d’une peinture conventionnelle et grandiloquente qui réduit souvent la guerre à la seule bataille. Dès 1853-1856 avec la guerre de Crimée, dessinateurs et photographes envoient aux journaux français et anglais leurs « instantanés » et ouvrent la voie à une autre représentation de la guerre : faute de pouvoir saisir les mouvements des soldats, les reporters-photographes captent d’autres moments de la vie militaire, la popote et les jeux, la fatigue, la toilette des soldats et l’installation du camp. Une vision plus familière qui permet au lecteur de vivre la guerre au quotidien, et qui met en place un héroïsme de l’attente plutôt que du combat.
En continuant dans cette voie, la guerre de Sécession (1861-1865) marque une étape également décisive. Soucieuse d’organiser une vision pathétique de la guerre, elle laisse entrer dans le champ de l’image les ruines et les morts, fait le compte des pertes et des blessés : avec ses alignements de cadavres, de squelettes, avec ses expos-photos qui drainent un public à la fois avide et heurté, elle fait précisément « sécession » dans l’histoire des images de guerre. Elle pose la question de la mort et des médias et invente des traits stylistiques que l’on retrouvera tout au long du xxème siècle, de 14-18 à Timisoara.
Sans doute trop chronologique, très insuffisant dans ses analyses cinématographiques, l’intérêt de cet ouvrage réside cependant dans sa capacité à montrer comment se constitue, de la peinture à la photographie, puis de la photo au cinéma ou à la télévision, la modernité des images de guerre. Comment, parallèlement à l’histoire réelle des conflits et des armes, la représentation de la guerre élabore également ses propres codes (épique, pathétique, familier…) et fonctionne de manière autoréférentielle, au point d’aboutir parfois à de saisissants raccourcis : le matin du 18 janvier 1991, à Dharan, un pilote américain évoque sur CNN son vol d’attaque sous la forme d’un « mauvais film de guerre ». Comme un Fabrice del Dongo lancé en pleine Tempête du Désert.
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Hélène Puiseu, Les Figures de la Guerre, représentations et sensibilités, 1839-1996, (Gallimard), Collection « Le Temps des Images »
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