A quelques heures du début des hostilités, parcours subjectif du combattant aux Transmusicales de Rennes, dont la programmation impressionne de richesse et d’audace.
Ça rappelle ces années 80 où l’underground et le grand public ne se fréquentaient jamais, séparés par des kilomètres de terre ferme, deux mondes clos, distincts, se faisant la gueule comme pas possible. Il fallait, alors, choisir son camp, triste service obligatoire du dédain. Avec le triomphe, simultané, de courants autrefois alternatifs en Angleterre (de Madchester à Prodigy), aux Etats-Unis (de Nirvana à REM à Smashing Pumpkins à Nine Inch Nails) ou même en France (de Noir Désir à Daft Punk), les frontières étaient devenues floues, marécages où l’on ne savait plus très bien où et comment finissaient les plates-bandes de chacun. Du coup, l’opposition devint majoritaire et commença à renier ses engagements, à rouler sa lo-fi en Safrane on connaît l’histoire. Ainsi, ces dernières années, les Trans festival d’opposition avaient eu du mal à trouver leur ton, interdisant avec trop de systématisme les anciens alliés le rock en fit sacrément les frais l’an passé. Cette année, hormis un péché mignon de fidélité aux Foo Fighters après tout, on a le droit de ne s’être jamais remis du concert de Nirvana à Rennes , les Transmusicales boudent la météo du jour, préférant savoir le temps qu’il fera demain. Et redeviennent une fourmilière fascinante mais entièrement souterraine. Où le mot Trans reprend son sens initial : Trans comme dans « intransigeant », comme dans « transition vers le futur », comme dans « si ça sent le rance, c’est pas aux Trans ».
Cette année, on ira donc beaucoup à la petite salle de L’Ubu, reconvertie en laboratoire de recherches en déhanchements langoureux. A minuit, deux soirs de suite, on abandonnera donc ses sens aux mains expertes de masseurs, pendant que leurs platines battront le beurre : le 3 avec Invisible Pair Of Hands, groupe voluptueux de Bristol qui comprend un Portishead à mi-temps et un Brestois au chant épisodique ce qui en fait un groupe de Brestol , en très bonne compagnie des platines de Pressure Drop ou de Khao, habiles trafiquants d’atmosphères installés à la frontière entre drum’n’bass, dub et ambiant.
Le lendemain, au même endroit, l’Angleterre envoie quelques-uns des meilleurs ambassadeurs de sa République libre du Big Beat : un joyeux affrontement désormais rituel entre les labels Skint (Cut La Roc) et Wall Of Sound (le faux français mais vrai génie electro Rythmes Digitales et les nounours hip-hop de Wiseguys), sous la surveillance des breakbeats acérés de Monkey Mafia, DJ redoutable de l’usine à brassage que reste le Heavenly londonien. La dernière fois qu’on a assisté à un de ces bras de fer entre Skint et Wall Of Sound, il pleuvait dans la salle, tant ces platines possèdent de redoutables vertus sudatoires.
Toujours à L’Ubu, le 5, on se paiera le luxe de rater une soirée pourtant généreuse en électronique sinueuse : Depth Charge, DJ Morpheus, les somptueux Juryman vs Spacer ou Bassbin Twins, vagues Chemical Brothers californiens, feront les frais d’une programmation d’une richesse rageante. Car à la même heure (23 h 30), à La Cité, il est hors de question de manquer une soirée regroupant les beats furieux d’Headrillaz, ceux tout aussi énervés de Lunatic Calm, dont on murmure qu’ils valent mieux sur scène que leur imitation savante des Chemical Brothers présentée sur disque ou, surtout, deux des clous de cette édition : d’abord le brassage multicarte et terriblement grisant de Death In Vegas, formidable mémoire de musiques anglaises. Ensuite et surtout, la stupéfiante fanfare Acid Brass, spécialisée dans la relecture pour tuba, triangle, cor anglais et cuivres divers des plus grands succès de l’acid-house : on vous conseille particulièrement leur reprise du divin Voodoo ray de A Guy Called Gerald ou du What time is love de KLF, que cet ensemble maboul accompagnait récemment sur une scène londonienne, dans un chaos et une poilade indescriptibles.
Quelques heures plus tôt, à La Liberté (le 5, à 18 h), on aura bien entendu dansé sourire aux lèvres sur Cornershop, puis latté quelques poubelles au son crasseux et viril de Rocket From The Crypt avant d’abandonner Insane Clown Posse à son cirque hip-hop (les gugusses de Kiss jouant Cypress Hill) et Foo Fighters à sa routine.
Mais s’il ne doit y avoir qu’une seule journée à entièrement donner aux Trans, ce sera celle du samedi 6 : dès 15 h 30, à L’Ubu, l’électronique sera soumise à toutes les tortures : l’écartèlement avec les Ecossais surdoués et psychédéliques de Long Fin Killie, la chambre froide avec les Américains fascinants de Salaryman ou le cours d’allemand avec Mouse On Mars, inventeurs sensuels et joueurs de la post-pop.
A 19 h, à La Cité, on affrontera la musique hostile et pourtant très belle de Tanger, avant de se réchauffer avec l’easy-listening qui fait peur aux enfants de Tipsy, fanfarfelue qui joue de la rumba des étoiles. On pourra boire un verre tandis qu’Alabama 3 jouera sa fusion gospel/soul/country/funk/techno de saison, aussi comique qu’inconséquente. Car après, il faudra toute son attention : tout d’abord pour saluer comme il se doit le génie bafoué et cocasse de Ween puis, surtout, pour porter en triomphe l’intelligence suprême de Tortoise, l’un des groupes qui pèsent le plus dans le rock (au sens très large) américain actuel et qui donnera là son premier concert français à grande échelle.
S’il reste quelques forces, on ira les titiller quitte à les réveiller avec quelques aphrodisiaques de circonstance à la grande rave Planète, où se succéderont des platines aussi importantes que celles d’Afrika Bambaataa, Gilb’r, Roni Size (venu en groupe), Darren Price, Luke Slater ou Jon Carter. Et puis, chaque soir, à 20 h 30 au Théâtre de l’Aire Libre, on ira prendre un grand bol d’air libre aux sonorités celtes mais jamais touristiques de Yann Tiersen, qui y présentera sa création Le Phare. On en aura bien besoin, d’un phare, pour retrouver sa route surtout qu’entre la sensualité sauvageonne des Hangovers (le 4 à L’Ubu, 15 h 30), une ex-Raincoats magnifiquement entourée, ou la tchatche enivrante de Rachid Taha ou des Femmouzes T (le 3 à La Cité, 17 h 30), il y a également moyen de se perdre sur les bas-côtés.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}