L’Usage de la vie, texte de Christine Angot, mise en scène de Dominique Lardennois.
A l’impossible elle s’est tenue : Elisabeth Maccoco incarne l’écrivain Christine Angot dans une autofiction théâtrale.
Tout a commencé par une commande de la comédienne Elisabeth Maccoco à l’écrivain Christine Angot autour du personnage de Médée. Ça s’est terminé en beauté par L’Usage de la vie. Exit Médée, le texte est en fait un monologue et le personnage principal n’est autre que l’auteur d’Interview et de Léonore toujours, Christine Angot elle-même. Elisabeth Maccoco l’incarne, elle a l’habitude de ne s’attaquer qu’à de sacrées bonnes femmes, elle qui a joué Callas pendant plusieurs saisons. Imper beige et lunettes noires, cheveux courts et chaussures blanches, elle ressemble étrangement à son personnage, arrive sur scène et commence : « Qu’on arrête de dire que la littérature française c’est fini… Lisez-moi, lisez Camille Laurens. Après, on verra si c’est fini. Vous allez dire quel narcissisme. Quand les gens sortent ce mot, le narcissisme, c’est qu’ils sont vraiment dégoûtés de ce que j’écris. Ils sont dégoûtés de voir quelqu’un s’intéresser à lui-même plus qu’eux-mêmes ne s’intéressent à eux-mêmes. » Le coup d’envoi est donné.
Elisabeth Maccoco s’est glissée dans les habits de Christine Angot, pas dans sa peau. Elle s’approprie l’écrivain, elle joue avec les frontières, tire le texte au cordeau sans jamais verser dans la psychologie à deux sous. Elle la tient à bonne distance en mettant en abyme la réalité/fiction, présente en chair et en os sur le plateau et en image sur un écran vidéo. Le metteur en scène Dominique Lardennois déjoue les pièges en opposant au « moi-je » les images du monde : manifestations, défilés militaires et extraits de films. Il fait jouer cette vie comme un polar, amène le suspens en introduisant un personnage masculin, ombre de l’actrice. A la fois directeur de chez Gallimard et père incestueux, l’homme silencieux se fait flinguer et vient s’étaler dans une empreinte déjà tracée. Le compte du père est réglé, au moins sur scène. On est énervé au sens viscéral, par les niveaux de tension, par cette intimité retournée comme un sac. L’inceste omniprésent, mais aussi l’amour, le sexe, les manifestations de décembre 1995, Hitler, sa fille, Christine Angot écrit tout.
Le rapport n’est pas narcissique, il est parfaitement honnête. Ce n’est pas un journal intime, c’est un texte littéraire, c’est l’usage qu’elle fait de sa vie : l’écriture. Capable d’affirmer publiquement, toutes disproportions gardées, que l’horreur du monde ne changera rien à la violence d’un « Ça me plaît moins ce que tu écris » vécu comme une rafale de kalachnikov quand les mots sont prononcés par Claude, son mari, le monde s’écroule dehors, mais son monde se détruit pour un rien : l’essentiel. Quand on écrit comme elle avec l’encre de sa vie, on n’a pas de hiérarchisation dans la catastrophe. « Qu’on arrête d’idéaliser, qu’on arrête de dire qu’écrire c’est fabuleux, c’est affreux. Depuis que j’ai une erreur-système sur ma disquette, je ne comprends plus le sens de ma vie. Ma vie privée y compris. » Bien que le titre de la pièce projeté sur les parois rouges de la scène tourne dans le sens des aiguilles d’une montre, n’attendez aucun mode d’emploi. Cet « usage de la vie » trouble, questionne, avec l’insistance de l’agacement provoqué par l’écorchure au coin d’un ongle.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}