Toujours aussi engagé que dans les années 70, le fameux metteur en scène japonais Yukio Ninagawa renvoie dos à dos jeunes et vieux dans un happening à l’ouverture arty et au finale apocalyptique.
Sous une lumière bleutée et dans la tradition des interventions d’artistes des années 70, le plateau est couvert d’une collection de grandes boîtes en verre, avec dans chacune d’elle un vieillard en position fœtale, tel un prématuré.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Lorsque le rideau tombe sur cette vision ironique du cycle de la vie, deux jeunes perturbateurs jaillissent des rangs du public et s’amusent dans la salle avec une balle qui s’avère être une bombe, qui explose dans les coulisses quand ils finissent par botter en touche. Provoquant stupeur et tremblements rien qu’avec cette scène d’ouverture, Corbeaux ! Nos fusils sont chargés !, la pièce de Kunio Shimizu, montée par Yukio Ninagawa, fit scandale à sa création, en1971. L’auteur et le metteur en scène y critiquaient alors certaines dérives violentes d’une révolte étudiante qui se décrédibilisait en se radicalisant.
“Notre groupe théâtral était lié à la mouvance gauchiste, précise Yukio Ninagawa. Certains d’entre nous avaient même posé des bombes dans des usines. Cette pièce est une réaction à cet activisme désespéré. Alors que la jeunesse se perdait dans la violence, nous voulions l’opposer à une colère des aïeux pour ramener un peu de raison dans nos luttes.”
Après la performance perturbée par une attaque à la bombe, le rideau s’ouvre sur un tribunal où l’on instruit le procès des deux coupables. A la barre, la grand-mère de l’un témoigne mais elle n’est pas venue seule. Face à l’intransigeance des juges et la stupidité des jeunes gens, elle appelle à la rescousse un gang de mamies qui prennent en otage le tribunal. Se lançant dans le procès à charge de l’institution et des dérives révolutionnaires, elles seront les premières victimes d’une révolte jugulée dans un bain de sang.
Reprenant sa mise en scène à l’âge de 77 ans, Yukio Ninagawa, conscient des errements du Japon de l’après-Fukushima, se considère plus que jamais comme un lanceur d’alerte. Dirigeant une troupe de juniors et une de seniors, il peut enfin réunir une distribution idéale en mettant face à face les vingt jeunes acteurs du Saitama Next Theater et les trente-sept anciens du Saitama Gold Theater, où la moyenne d’âge est de 75 ans.
“Je n’accepte pas plus le Japon d’aujourd’hui que celui d’hier et je veux continuer à militer pour un dialogue entre les générations, affirme-t-il. Je reste dans la posture du chien qui n’obéit pas et refuse de se soumettre. A mon âge, l’impatience renoue avec celle de la jeunesse, on n’a plus le temps de tourner autour du pot, il faut jouer cartes sur table.”
Corbeaux ! Nos fusils sont chargés ! de Kunio Shimizu, mise en scène Yukio Ninagawa, du 8 au 12 décembre au Théâtre de la Ville, Paris. en japonais surtitré
{"type":"Banniere-Basse"}