Du Chiapas à Hong-Kong, Bruno Serralongue est un reporter maladroit, toujours mal placé. Un raté plutôt réussi.
Photographe par défaut, telle pourrait être la définition de ce jeune artiste qui parvient cependant à couvrir les événements internationaux les plus médiatisés : la rencontre des intellectuels occidentaux et de Marcos dans les terres du Chiapas en août 1996, la rétrocession de Hong-Kong à la Chine le mois dernier, voire le concert de Johnny Hallyday à Las Vegas. Seulement voilà : Bruno Serralongue photographie à la chambre, lourd dispositif qui ne lui permet pas de s’adapter aux conditions mouvantes des grands événements ; il n’a, par ailleurs, aucun badge de presse et se trouve contraint à voyager à ses propres frais, en qualité de vulgaire touriste à Hong-Kong, de néomarxiste lambda au Chiapas, de Johnny-fan à Las Vegas. Tout cela complique bien évidemment les choses : « A Las Vegas on ne peut rien faire, dès qu’on pose un appareil avec un pied pour photographier un casino, par exemple, dix flics arrivent et on est obligé de payer une taxe professionnelle. De même au Chiapas où tout était organisé pour les photographes de presse, les professionnels. Et je ne parle pas de Hong-Kong. Bref, je suis souvent très mal placé. »
A défaut donc d’avoir une place réservée, un angle de vue déterminant, Bruno Serralongue enregistre l’événement de ce point de vue nécessairement décalé, forcément un peu gauche, jamais bien placé. De 1993 à 1995, la série des Faits divers procédait un peu de la même maladresse : après avoir lu dans la presse un fait divers sémillant (chien écrasé, altercation violente, suicide, hold-up…), notre photographe se rend, en professionnel consciencieux, sur les lieux du crime. Tout est déjà commis, et l’on arrive trop tard : n’empêche, la photographie retiendra le fait que, sur les lieux du crime, il ne se passait plus rien. Un peu comme ces photos de Hong-Kong où quand on arrive à voir, quand l’espace est bien dégagé, c’est pour contempler un stand désert dans une fête foraine moribonde. Mais dès qu’il y a du monde, dès qu’il y a quelque chose à voir, alors on aperçoit derrière une foule d’anonymes des feux d’artifice lointains, des lumières vives dans un horizon inaccessible. L’événement est ainsi regardé du point de vue de l’anonyme citoyen, sans que l’on sache très bien où se passe l’essentiel, un peu comme Fabrice à la bataille de Waterloo. C’est d’ailleurs plus souvent les gens ordinaires qu’il photographie à défaut, une fois de plus, de pouvoir s’acheter les stars et les puissants : les fans de Johnny, bardés de clous et de badges, avec un arrière-plan kitsch ou rutilant de Las Vegas. Les Indiens du Chiapas qui attendent dehors, les pieds dans la boue, la fin des conférences. Les habitants de Hong-Kong qui ne savent pas exactement ce qu’ils sont venus fêter. Regard individuel sur une histoire collective, point de vue banal sur un moment d’exception : Serralongue couvre l’événement médiatique du point de vue d’un photographe amateur, refusant ainsi de participer au spectacle que la société médiatique s’offre à elle-même. Et s’il expose dans les galeries, c’est à défaut de pouvoir paraître dans la presse d’information. « Récemment, j’ai entendu parler des cérémonies qui devraient avoir lieu à Cuba pour enterrer Che Guevara. Ils ont retrouvé son cadavre je ne sais où. J’aimerais assister à cette cérémonie funéraire, mais une fois de plus je manque d’informations. »
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