Jipé Nataf (Les Innocents)
Quel était le premier disque dans ta collection ?
Quand j’avais 3 ans, mes parents ont acheté le maxi des Beatles avec Drive my car et Michelle. Comme j’avais un électrophone dans ma chambre, j’ai récupéré le disque. Du coup, j’en avais deux : celui-là et un 45t de Babar. La musique est rapidement devenue une passion. Le premier disque que j’ai acheté moi-même, c’était un album des Osmond Brothers, j’avais 9 ans. Ensuite, je suis tombé dans le rock plus dur, les Stones, Led Zeppelin, Deep Purple et j’adorais Ballroom blitz de Sweet. A l’école, la musique est devenue un bon moyen pour communiquer. Avec mes potes, on parlait de rock des heures durant, comme d’autres parlent de sport ou des filles… Evidemment, mon rapport aux disques a changé depuis que je vis moi-même de la musique. Les disques restent un besoin vital, permanent, mais je ne les écoute plus de la même manière. Je suis passé de l’approche totalement mythique de l’époque où j’avais 11 ans à un rapport beaucoup plus analytique, adulte. A 11 ans, je regardais ce monde-là depuis ma petite fenêtre et tout avait l’air de scintiller, les gens du rock semblaient parfaits. Et puis un jour, j’ai commencé à m’en rapprocher et là, ça m’a semblé déjà un peu moins magique. Musicalement, tu commences à entendre des trucs de faiseurs, des manipulations dans la production. Je suis sans doute plus dur à séduire aujourd’hui, depuis que j’ai avancé moi-même dans ce boulot. Mais je continue à trouver mon compte dans la production contemporaine, simplement parce que ce qui me nourrit, c’est surtout les chansons. Il y a très peu d’artistes que j’aime sur la longueur, sur plusieurs albums, alors qu’il y a des centaines de chansons qui me marquent. Je passe mon temps à me faire des cassettes, mes propres compilations de chansons.
Quelle est celle pour toi qui dépasse les autres ?
Ghost town, des Specials. Pendant un an ou deux, j’ai vraiment pensé que c’était la plus belle chanson qu’on puisse écrire au monde. D’ailleurs, elle est restée en moi comme un repère, une sorte d’étalon. Même si je n’ai jamais essayé d’écrire du reggae, je me suis toujours dit que je devais tout faire pour tenter d’approcher la magie et le charme immédiat de Ghost town. Aujourd’hui, je me dis que le morceau n’était pas si parfait que ce que je croyais il y a quinze ans, mais il garde quand même un pouvoir évocateur très fort pour moi. Le son a un peu vieilli, mais l’écriture tient parfaitement debout. Alors que j’ai un mal fou à écouter les disques de Jam dont j’étais pourtant très fan pendant des années. The Jam, j’écoute ça vite fait, une fois de temps en temps, comme on repasse devant une maison où l’on a habité il y a longtemps. Et même si on y a passé de bons moments, on se dit que la maison n’était pas si terrible que ça… Pour moi, ces groupes-là sont liés à la grande époque des singles, et même si ça fait vieux con de dire ça, je trouve que c’est vraiment la grande perte des années 80. On a complètement perdu le côté urgent, un peu tête brûlée, des 45t en vinyle. Maintenant, il faut deux ou trois ans pour qu’une chanson se retrouve sur un disque et entre-temps, elle peut perdre toute sa pertinence. Ce qui ne serait jamais arrivé avec les Clash, les Buzzcocks, ou les DB’s.
Comment décrirais-tu ton mode de consommation musicale ?
C’est une véritable obsession. J’achète frénétiquement : c’est un besoin physique, animal, quelque chose qui remonte à l’enfance. Et malheureusement pour mes finances, je suis plutôt ouvert dans mes goûts. J’achète du rap, du trip-hop, de la soul mais même en cherchant bien, je ne trouve rien qui swingue comme le James Brown de 1970. Je ne me lasse pas non plus d’écouter la collection de singles des Four Tops.
Ton disque préféré du moment ?
Le nouveau Radiohead, évidemment, parce que ce groupe a tout. Voilà un disque avec lequel je me suis forcé à avoir une relation particulière. Je n’ai pas voulu en bâcler l’écoute, j’ai pris plusieurs semaines pour en faire le tour. C’est un truc d’épicurien, de jouisseur : je fais toujours comme ça quand je sens qu’un disque est spécial. Dans ce cas-là, la musique redevient quelque chose de très privé, impossible à partager. Un disque comme OK computer s’écoute seul, le soir de préférence.
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