Wes Craven est un intellectuel dévoyé qui a quitté l’université pour le cinéma d’horreur. Ses meilleurs films montrent comment, dans sa logique consumériste, l’Amérique génère ses propres monstres.
La filmographie de Wes Craven est exclusivement consacrée à la peur. Contemporain du renouveau du cinéma d’horreur américain au début des années 70 (Tobe Hooper, John Carpenter, Larry Cohen, John Landis, Joe Dante), Craven se distingue cependant de cette génération qui affiche de façon ostentatoire sa cinéphilie et inaugure des principes citationnels bientôt assimilés par le système hollywoodien Carpenter en héritier autoproclamé de Hawks, Landis et Hooper gavés de contre-culture.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
En 1970, loin des écoles de cinéma ou des plateaux de Roger Corman, Craven est universitaire et enseigne les sciences humaines. C’est un intellectuel dévoyé, en rupture de classe, qui intègre professionnellement les milieux cinématographiques, travaillant pour un obscur producteur de films pornos, Sean S. Cunningham, qui deviendra célèbre quelques années plus tard grâce à la série très rentable (et très nulle) des Vendredi 13. A l’instar de William Lustig et Abel Ferrara, Craven se fait donc (officieusement) la main dans le X avant de réaliser son premier film, La Dernière maison sur la gauche, produit par Cunningham. Il demeure, vingt-quatre ans après sa sortie, un des films les plus dérangeants jamais réalisés Craven refuse d’en parler aujourd’hui, honteux d’être allé trop loin à l’époque. Le critique spécialisé Michael Weldon note avec pertinence qu’il s’agit d’un remake approximatif de La Source de Bergman, preuve que Craven n’avait pas perdu toutes ses lettres en sombrant dans la fange d’Hollywood Boulevard : deux jeunes filles sont violées et assassinées par des voyous, qui subiront la vengeance d’une sauvagerie inouïe des parents des victimes, un couple de bourgeois libéraux. Perçu comme une apologie nauséeuse de l’autodéfense, le film fut hâtivement taxé de fasciste, au même titre que la série des Death wish avec Charles Bronson. Malgré une complaisance évidente dans la violence graphique (castration buccale d’un des violeurs, dents éclatées au burin…), certains se montrèrent assez perspicaces pour déceler dans La Dernière maison sur la gauche un brûlot libertaire fustigeant les valeurs morales de l’Amérique, une attaque frontale de la famille et de la propriété. La suite de l’ uvre allait leur donner raison.
En 1977, Craven réalise La Colline a des yeux, un futur classique du cinéma gore dans lequel une famille de la middle-class en vacances dans le désert riposte aux agressions d’une meute d’autochtones dégénérés et anthropophages. Une fois encore, le cinéaste se plaît à révéler la barbarie tribale enfouie sous le vernis de la civilisation, assène aux spectateurs des images insoutenables. Après ces deux succès, la carrière de Craven, toujours à l’écart des grands studios, se partage entre des uvres routinières pas désagréables, des travaux alimentaires pour la télévision, des ratages, un triomphe commercial inattendu (Les Griffes de la nuit, le premier Freddy, en 1984) et, surtout, deux réussites qui renouent avec la veine contestataire du cinéaste : l’onirique Emprise des ténèbres (1988), qui confronte en Haïti les superstitions vaudous aux menaces physiques des tontons macoutes ; et Le Sous-sol de la peur (1991), où un couple de pervers blancs séquestrent des enfants à la frontière du ghetto noir de Los Angeles. Avec They live de Carpenter, c’est le film de genre récent le plus ouvertement politique, une critique sociale virulente que l’on peut préférer aux pamphlets moralisateurs de Spike Lee.
Craven réalise en 1994 Freddy sort de la nuit, son premier film réflexif, une ambitieuse mise en abyme qui décrit les interférences provoquées par la série des Freddy dans la vie privée de ses protagonistes. Paradoxalement, Wes Craven a créé la dernière icône du cinéma fantastique de divertissement, le croquemitaine Freddy, alors qu’il est avant tout un cinéaste de l’horreur concrète et des phobies quotidiennes. Cette approche réaliste du fantastique s’est longtemps incarnée dans une mise en scène sans effets, presque fruste (la photo de ses premiers films est d’une laideur clinique), qui ne laissait pas présager la brillance formelle de Scream. Wes Craven démontre dans ses meilleurs films que la société américaine génère ses propres monstres, non pas dans ses dysfonctionnements mais au contraire dans sa logique consumériste et ses principes fondateurs respectés jusqu’à l’absurde.
{"type":"Banniere-Basse"}