Les premiers films de Krzysztof Kieslowski, constats ultra-pessimistes de la réalité polonaise, témoignaient paradoxalement d’une certaine liberté.
Kieslowski en quatre films La Cicatrice, L’Amateur, Le Hasard, Sans fin.
Alors que Kieslowski s’est fait vraiment connaître en France avec Le Décalogue et qu’il a touché le grand public avec des coproductions françaises de prestige (La Double vie de Véronique, la trilogie Bleu, Blanc, Rouge), Marin Karmitz a la bonne idée de (re)sortir en copies neuves les films polonais pré-Décalogue, ceux que Kieslowski a tournés entre 76 et 84.
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Le Hasard (81) est construit sur le même principe que le Smoking/No smoking de Resnais/Ayckbourn, selon lequel à chaque instant de sa vie, on prend (volontairement ou non) une direction qui conditionne toute la suite des événements principe qui vaut aussi pour toute fiction, tout film. Ainsi, Le Hasard est-il divisé en trois parties distinctes, trois vies différentes du jeune Witek selon que celui-ci attrape ou loupe son train. Version 1 : il monte dans le train, rencontre des militants communistes et s’inscrit au Parti. Mais ceux-ci le manipuleront et l’amèneront à trahir involontairement la femme dont il est amoureux. Quand il en prend conscience et se révolte contre ceux qui l’ont utilisé, il est déjà trop tard, le mal est fait. Version 2 : Witek rate son train, se heurte à un contrôleur, se bagarre un peu, est arrêté par la milice et condamné à quelques semaines de prison et de travaux d’intérêt collectif. Il devient alors militant de l’opposition au sein d’un groupe catholique. Là encore, son engagement se solde par un échec puisqu’il fléchit au moment où on lui demande d’agir, par paresse, inertie ou manque de croyance. Version 3 : il manque son train, rencontre une amie étudiante, se marie avec elle, exerce tranquillement son activité de médecin. Il part à Paris pour un voyage professionnel (ce même voyage qu’il avait refusé d’entreprendre dans les deux versions précédentes) et l’avion explose… Kieslowski juxtapose ainsi trois formes d’engagement existentiel politique (communiste), religieux (catholique), individuel (consumériste) mais fait rimer ses trois versions par des constantes : l’amante, la figure paternelle du mentor, l’échec. Kieslowski semble dire que toute forme d’engagement est nécessaire pour apprendre à lire et vivre le monde, mais aussi très vaine, avec comme seule certitude la mort au bout. Les deux premières parties se terminent sur un échec : mais s’il n’y avait pas eu échec, Witek aurait pris cet avion fatal qui lui coûte la vie dans la dernière partie. Dans ce conte philosophique très noir où Kieslowski laisse peu de chances à son héros, le hasard n’est donc qu’un sursis qui, au mieux, ne fait que retarder le fatum final.
La mort est également omniprésente dans Sans fin (84), histoire filmée selon le point de vue d’un fantôme : celui d’un avocat qui observe la destinée de sa veuve et celle d’un de ses clients, ouvrier accusé d’avoir fomenté une grève. Juste en guise de rappel : la Pologne vit alors sous le régime militaire de Jaruzelski, époque d’un communisme dur qui avait mis le syndicat Solidarité et toute l’espérance qu’il suscitait sous l’éteignoir. Le film suit donc parallèlement les difficultés de l’ouvrier pour trouver un avocat qui accepte de le défendre et le deuil impossible de la veuve. Celle-ci essaie tout prendre un amant, communiquer avec son mari défunt par l’intermédiaire d’un hypnotiseur , mais rien n’y fait. Elle finira par rejoindre son défunt époux dans l’au-delà, le suicide étant vu ici comme la seule délivrance possible. Sans fin est un constat d’un pessimisme sans rémission, une vision de la réalité polonaise noirâtre qui tranche avec les fresques optimistes d’un Wajda réalisées quelques années plus tôt, avant le coup d’Etat militaire. Mais l’avantage de Kieslowski sur Wajda est de ne pas échaffauder de lourdes allégories globalisantes, préférant miser sur des histoires individuelles, sur de la fiction et de l’intime plutôt que sur de grandes thèses démonstratives. Ainsi, malgré sa noirceur excessive, Sans fin est beaucoup plus digeste que tous les hommes de marbre de plombante mémoire.
La Cicatrice (76), inédit en France, et L’Amateur (79) complètent ce programme qui tend à montrer que, paradoxalement, une certaine dose de liberté existait dans le cinéma polonais pré-Walesa, au moins dans la création si ce n’est dans la distribution.
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