On avait repéré Françoiz Breut à l’ombre ensoleillée de Dominique A, où sa voix tremblante et pourtant autoritaire faisait des petits miracles sur scène comme sur disque. Le couple inverse aujourd’hui les rôles, lui derrière et elle devant sur l’enthousiasmant album Françoiz Breut : le meilleur chemin de A à B est le sentier tortueux des écoliers. Rencontre dans leur bout du monde de Cherbourg.</
Cherbourg, ville tristounette même sous le soleil. Principale attraction : la station-service où fut tourné Les Parapluies de Cherbourg, désormais franchisée Mobil ou Esso. Un port terne qui n’a même pas pour excuse d’avoir été rasé pendant la guerre, désormais vampirisé par les aménagements nucléaires et militaires. Le Cotentin est pourtant superbe, éblouissante composition de bocage vert cru, de plages de galets iodées, de criques accidentées bordées par des chemins de douaniers ondulants, où trottèrent Boris Vian ou Jacques Prévert.
C’est entre ce vert et ce gris qu’a habité Françoiz Breut jusqu’à ses 18 ans. Partie faire les beaux-arts à Caen, elle n’est revenue que récemment, après quelques arrêts en cours de route, à Dunkerque, Nantes d’où elle a ramené dans ses valises son ami, Dominique A et Bruxelles. Malgré l’attachement de Françoiz à la région, le couple déménage sous peu à Nantes. « On s’ennuie ici, on est un peu isolés, ce n’est pas pratique pour répéter, il n’y a ni salle ni musiciens, pas de concerts. Partir de Cherbourg va me déchirer une fois de plus quand je pars d’ici, ça me fait toujours ça mais, en même temps, je suis contente. Mes parents n’habitent plus là. Mon père a été muté à Brest et là, il est à la retraite en Bretagne, je n’ai plus que ma soeur ici. Je suis vraiment attachée à la région, elle m’est indispensable. Il faut que j’y aille tous les deux trois mois. Enfin ça va, Nantes, ce n’est pas trop loin. »
Impensable de laisser Dominique partir seul. Dominique et Françoiz ne se quittent pas, même pour les interviews, même dans le cadre familier d’un bar face à la mer. Une terreur, les interviews, pour Françoiz. Peu sûre d’elle, elle tergiverse, cherche ses mots, en réfère à Dominique, le cite, cherche ses yeux et son approbation, le laisse sagement parler à sa place, ne lui coupe que rarement la parole et Dominique est bavard , se trouble et perd ses moyens lorsqu’elle apprend qu’elle va finalement devoir faire pour la première fois une interview seule. Et finira par se livrer lorsque Dominique A, entraîné à l’extérieur, l’abandonne avec son accord prudent.
Gagnant en confiance, Françoiz devient réfléchie et passionnée, bavarde et rieuse comme seuls les timides savent l’être. Timide, justement. Pas vraiment extravertie. Qu’est-ce qui a alors bien pu pousser cette jeune fille, visiblement plus heureuse au milieu du bocage, à chantonner et siffler dans l’herbe, à faire un disque ? Pourquoi décider de s’exposer ? Besoin d’affirmation personnelle, regret d’évoluer dans l’ombre, insatisfaction de ne faire que susurrer les choeurs, envie de mettre en avant des talents de musicienne jusque-là étouffés ? On est loin du compte. « J’avais envie de faire un disque toute seule sous mon nom, mais dire pourquoi j’avais envie de faire un truc toute seule, je ne sais pas,
ce n’est pas très réfléchi. Sur Si je connais Harry, j’avais trouvé des petites notes au clavier, des trucs de rien du tout, et je me disais « C’est trop compliqué pour moi, je ne vais pas me mettre à faire de la musique. » J’étais déjà un peu surprise quand Dominique m’a proposé de chanter avec lui, surtout qu’au début où on était ensemble, il avait dit « Non, jamais, tu ne chanteras jamais avec moi. » Finalement, ça s’est fait petit à petit. Dominique m’encourage. C’est lui qui m’a poussée à faire le disque, à faire de la scène. Moi je suis timide, très timide (rire nerveux)… L’idée de ce disque vient de nous deux, c’était au départ pour avoir plus de morceaux à faire sur scène, on voulait juste ne pas finir en duo. On voulait sortir le disque uniquement sur notre petit label où on avait sorti quelques 45t, un peu confidentiellement. Ça me fait peur que ça prenne de l’ampleur. La promo, ça m’embête un peu, c’est assez douloureux. Je suis très contente de parler du disque, mais il faut que je me cache, je n’ai pas envie de me mettre en valeur. Sur scène, c’est différent, je porte quelque chose, et bon, Dominique est toujours à côté, donc ce n’est pas comme si j’étais vraiment seule. J’ai du mal à assumer le fait d’être toute seule, je n’ai pas du tout le charisme de Dominique. »
Dominique omniprésent même absent, qui finira par compléter l’explication en avouant ses deux motifs : vouloir mettre en valeur la voix de sa compagne et continuer à écrire, malgré des difficultés d’inspiration pour sa propre crèmerie. « Tout ce que j’entreprenais pour moi ne tenait pas la route, c’était laborieux. Il y a des choses que je n’avais pas envie de chanter, des mots qui ne passaient pas. Tout ce que je faisais pour Françoiz paraissait plus fluide, je me sentais moins coincé. Etre moins impliqué a libéré mon inspiration. Pour moi, c’était comme faire un premier album, j’y ai retrouvé une fraîcheur, une virginité. Je me suis dit que ce serait bien si Françoiz avait autre chose à chanter que des mots comme « tranquille », « décidé ». Je voulais mettre en valeur sa voix, lui faire trouver son timbre. Et puis Françoiz, aux yeux des gens, prenait de plus en plus d’importance dans mes concerts, elle s’affirmait, donc on s’est dit qu’elle allait faire un disque. Je lui ai juste imposé le fait que je compose l’album entièrement. Je ne voulais pas que cent cinquante personnes lui écrivent des chansons, je ne voulais pas faire les choses à moitié. »
Couvée et protégée par Dominique, simple pistonnée ? Autre fausse piste, même si le succès de Dominique A a quelque peu modifié un trajet déjà fermement artistique. Dans leur appartement, chaud et féminin, on trouve une décoration parfaitement personnelle, constituée de peintures d’inspiration orientale, de dessins pour enfants, de boîtes multicolores accrochées aux murs contenant collages et objets divers. Illustratrice de livres pour enfants de métier, Françoiz a dû mettre légèrement de côté sa carrière pour se consacrer aux tournées avec Dominique A et, dorénavant, à son propre chant et ses propres tournées. Ce qui ne l’empêche pas parallèlement de monter des expositions dans diverses galeries ou bibliothèques bretonnes où, dans des décors maison, elle met en scène ses livres sublimes pièces uniques entièrement créées par elle, du scénario à la reliure, livres-objets travaillés, pop-ups colorés et gais racontant des histoires de lutins, sirènes, loups, contes naïfs, jamais bêtifiants. « Je fais de l’illustration pour enfants parce que les textes sont plus simples à écrire et parce qu’artistiquement, on peut se permettre plus de choses, un travail plus original sur les matières, les papiers. De plus, je n’ai pas eu la chance d’avoir beaucoup de livres quand j’étais enfant, à part les Martine et toute une collection de petits livres carrés qui se faisaient bien à l’époque. »
Comme le chant, elle ne désire pas pousser cette passion plus loin que le dilettantisme, ne cherchant pas à tout prix l’édition ou la parution en magazine, drôlement modeste sur ses capacités, hésitant à montrer des dessins de 1995 « Ils sont vieux, je serais plus fière de montrer les derniers trucs que j’ai faits. » Refusant de choisir entre ses deux passions, les fusionnant à l’occasion, elle a réalisé avec l’aide de Dominique des fanzines (lui les textes, elle les dessins sérigraphiés) et des 45t autoproduits (pochettes de Françoiz, textes et musique Dominique), symbiose parfaitement représentative de l’harmonie qui semble régner chez les AB.
Un couple sans histoire, les AB. Des artistes satisfaits, se suffisant l’un à l’autre. Françoiz n’a pas du tout envie de chanter les textes ou les musiques d’un autre que Dominique : « Il faut d’abor40d connaître la bonne personne et moi, je trouve que ses textes me collent le mieux. » Et Dominique n’a jamais eu envie d’écrire pour une autre que Françoiz. « Dominique m’a fait un beau cadeau avec ce disque », « Françoiz minimise son rôle, sans le savoir, elle est mélodiste, elle a écrit plusieurs chansons pour moi. » Une entente qui transparaît subtilement dans le disque de Françoiz, la voix mise en valeur par les textes et la musique et vice-versa. « Dominique a tout écrit et tout composé, je suis arrivée comme une fleur. Il me proposait des textes au fur et à mesure, et la musique qui allait avec. Quand ça me convenait, j’essayais de le chanter. Si ça allait, on gardait, si ça n’allait pas, on la mettait à la poubelle. J’assistais à la composition, Dominique travaillait un morceau, venait frapper à ma porte et me livrait la maquette sur un plateau. Comme je ne joue d’aucun instrument, je ne peux pas participer à la musique, ça ne m’ennuie donc pas d’avoir ce pouvoir de vie ou de mort sur les chansons de Dominique. En studio, je suis un peu l’inspecteur des travaux finis ; je suis là, j’écoute. Au début, je n’ai donné ni consigne ni thème. Il a écrit avec une liberté totale, s’est inspiré de mon personnage. Je n’ai jamais rien retouché, c’était tout ou rien. J’ai essayé moi-même d’écrire quelque chose, mais c’était de la poésie d’élève de quatrième, et encore… On ne peut pas se découvrir des talents d’écrivain du jour au lendemain. Je me sens un peu comme une chanteuse de variété, c’est certes moins gratifiant que de faire tout soi-même, mais je chante par plaisir. »
Ne venant pas d’une famille privilégiant particulièrement l’artistique, Françoiz a abordé la musique avec curiosité, « initiée » par une grande soeur et profitant de la proximité avec l’Angleterre et Jersey « des mines d’or » pour assouvir une passion jamais émoussée, même en ce bout du monde. « A 10 ans, j’ai découvert les Beatles et c’est parti dans tous les sens. J’écoutais Leonard Cohen, j’ai eu ma période baba cool, après j’ai écouté Violent Femmes, Pere Ubu, des trucs garage de la fin des années 60, les Electric Prunes, les Seeds, du folk américain, des trucs planants, Jefferson Airplane, Shocking Blue. Ma soeur et moi, on s’entraînait, on était bien spécialisées, on fouillait. En ce moment, j’écoute Tarnation, ce groupe me tient à coeur, c’est une voix que j’aimerais vraiment avoir, mais j’ai des progrès à faire. J’attache pas mal d’importance à ma voix, mais je ne la travaille pas, c’est naturel. J’aimerais juste avoir une technique parce que je fatigue énormément en concert. Au départ, ce que je veux, c’est chanter juste. »
Très en avant sur le disque, le timbre de Françoiz est profond et limpide, soulignant avec gravité des textes à la poésie mélancolique, avançant avec une théâtralité presque shakespearienne des thèmes qui lui sont chers Le Don d’ubiquité ou les mots tristes de Dominique, « inspirés par des détails de ma vie ». Des histoires de ruptures, de départ, d’impossibles rencontres, de vacuité La Femme sans histoire , acheminées nonchalamment par cette voix à l’autorité singulière. Sobrement accompagnée d’une guitare, d’une contrebasse, cette voix ample et déjà empreinte de tristesse et de violence sourde devient presque menaçante lorsqu’elle transporte les paroles sombres de Dominique. Chanter ses mots, même lourds de sens un Motus que l’on sent terriblement biographique (« Je ne vis pas sans mal d’avoir à m’imposer, j’ai peur de devenir un poids qui parle ») , ne lui pose pourtant pas de problèmes. Mystérieuse, elle préfère voir ses propres détails noyés au milieu d’histoires inventées par Dominique plutôt que de s’y sentir crûment représentée. « Chanter des choses sautillantes, des chansons d’amour sur des rythmes endiablés, ce n’est pas trop mon truc. Je ne sais pas si ces paroles et ces musiques mélancoliques me représentent vraiment, mais en tout cas je me sens à l’aise avec ce genre de chansons, même avec le côté un peu pessimiste. Parce que je suis assez pessimiste, assez noire. Curieusement, je ne suis pas trop exposée dans les textes qu’écrit Dominique. C’est pratique qu’il y ait juste un petit bout de moi. Je n’ai pas envie de me dévoiler complètement. »
Françoiz Breut, Françoiz Breut (Lithium/Labels)
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}