« On se croisait souvent le soir, vers 11 h ou minuit. On buvait des bières ensemble, c’était bien. »
Tom Clarke (ami de Jeff, Brooklyn) J’ai rencontré Jeff Buckley il y a cinq ou six ans. C’est Jeff qui a hérité de ma place au café Sin-é, le club de New York où je jouais mes chansons une fois par semaine. Ensuite, c’est moi qui l’ai présenté à Lenny Kaye, le guitariste de Patti Smith. Nous étions en studio à New York, Lenny produisait mes morceaux et Jeff est venu participer aux choeurs sur quelques chansons. C’est comme ça que Jeff s’est retrouvé impliqué sur le disque de Patti… La veille de sa disparition, j’ai parlé au téléphone avec Jeff pendant quarante-cinq minutes, ce que j’ai trouvé incroyable puisque nous ne nous parlions habituellement jamais plus de cinq minutes. Il avait l’air d’être d’une humeur un peu étrange, ce que j’ai mis sur le compte de la solitude. Ça faisait déjà deux mois que Jeff était à Memphis, mais seul, sans son groupe. Après s’être un peu fâché avec Tom Verlaine qui devait initialement produire l’album , Jeff avait rappelé son producteur de départ, Andy Wallace, et juste avant son arrivée, il était en train de faire du tri dans ses chansons. Il m’a dit qu’il avait des tas de bonnes idées, mais que c’était dur d’y voir clair. Il ressentait une pression énorme de la part de sa maison de disques, mais je crois qu’il était en train de retrouver confiance, il était plutôt optimiste pour l’enregistrement. Il m’a aussi dit qu’il s’était acheté une nouvelle guitare le jour même… Jeff m’a invité à descendre le voir à Memphis pour le week-end, soit trois jours plus tard. Son groupe allait arriver en ville pour le début de l’enregistrement de son album et il restait de la place dans la maison que Jeff avait louée pour l’occasion. J’ai écrit l’adresse sur une boîte de pizza, pensant effectivement descendre à Memphis pour le week-end. Mais je n’ai même pas eu le temps d’aller là-bas. Lorsque son groupe est arrivé, le téléphone a sonné, et c’était pour annoncer la nouvelle. Ils n’ont même pas vu Jeff. Ils étaient en train de rigoler, ils choisissaient leurs chambres respectives, et d’un seul coup, tout s’est écroulé dans leur vie… J’ai beaucoup de chagrin pour ses musiciens, ce sont vraiment des types formidables. Jeff et son groupe étaient tout le temps en train de rigoler. Je n’ai jamais compris pourquoi les gens avaient une perception si sombre de Jeff. En vérité, c’était un mec très marrant. Parfois, au Sin-é ou en privé, il était capable de jouer des thèmes de dessin animé pendant une heure en faisant rire tout le monde. Il avait aussi toute une série de reprises incroyables en tête, un vrai karaoké vivant. Bien sûr, il a écrit des chansons très poignantes, mais il n’y avait pas que la mélancolie dans sa vie. C’est un terrible gâchis.
Lenny Kaye (guitariste de Patti Smith) J’ai appris la nouvelle vendredi et ça m’a mis une claque terrible. Jeff était un musicien immense, un des grands de sa génération. Pour moi, c’était un phénomène. Je ne connais personne d’autre capable d’organiser les mélodies et les harmonies de cette façon. La première fois où il m’a fait trembler sur ma chaise, c’est lorsque nous bossions sur les demos de mon copain Tom Clarke. Jeff était venu faire des choeurs et sa voix était bouleversante… Ensuite, évidemment, il y a eu la rencontre avec Patti, à l’occasion de Gone again. Jeff était très ému de la rencontrer, elle qui était sans doute sa plus grande muse. Patti savait peu de choses sur Jeff, mais par contre, elle connaissait bien son père, Tim Buckley. Ils en ont parlé longuement ensemble… En studio, Jeff était un type charmant, avec des idées fermes sur ce qu’il voulait, mais aussi une certaine aptitude à écouter les autres. C’était aussi un gros bosseur… J’ai appris la nouvelle à Patti, elle était très secouée. Je crois que ça lui a rappelé des souvenirs terribles, toutes ces histoires de mort. Depuis quelques mois, Jeff était devenu un bon copain. On habitait le même quartier et on passait notre temps dans les mêmes boutiques de disques. Il était très accessible, comme tous les mecs du quartier. C’était vraiment l’un des nôtres. On se croisait souvent le soir, vers 11 h ou minuit. On buvait des bières ensemble, c’était bien.
Dave Lory (manager) Tout ce que nous avons à dire est dans le communiqué officiel et je crois que les propos de la mère de Jeff sont suffisamment explicites. Pour votre journal, que Jeff appréciait beaucoup, je veux juste ajouter que ce qui comptait le plus pour lui, c’était ses fans. C’est ce qui le faisait avancer, cet échange avec les gens qui aimaient sa musique. Jeff adorait la France. Je n’ai rien d’autre à ajouter.
Robert Gordon (ami de Jeff, Memphis) La dernière fois que je lui ai parlé, il avait l’air très heureux. Il avait entamé une série de petits concerts dans un club de la ville, le Barrister’s, tout seul à la guitare. C’était une espèce de one-man show : il jouait des chansons, mais parlait aussi beaucoup entre les morceaux. Il racontait ce qu’il faisait dans la journée, ou parlait de ce qu’il avait lu, c’était très drôle. Jeff avait l’air content d’être à Memphis, il commençait à y trouver ses repères.
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