Passera, passera pas ? Suite aux atermoiements cannois concernant les projections du court métrage sur les sans-papiers, le point sur l’opération avec l’un de ses principaux initiateurs, Nicolas Philibert.
« D’abord, je ne veux pas m’approprier la paternité du projet. Cela précisé, l’idée du film est venue du Manifeste du troisième collectif publié dans Libération. Après cette lecture, j’ai pensé qu’il fallait faire quelque chose. J’ai contacté quelques réalisateurs proches pour leur proposer de faire ensemble un petit film : un court de 3 minutes qui donnerait à entendre ce texte. L’idée était de tourner un plan unique et fixe, serré sur le visage de la personne qui dirait le texte. Pas d’effets de mise en scène compliqués, afin qu’on entende le mieux possible.
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L’idée a été acceptée par les cinéastes contactés. On a mis le projet en chantier, fait une séance de casting avec les sans-papiers. Le choix s’est porté sur Madgiguène Cissé. Ce n’est pas un hasard si elle est porte-parole : elle a une voix, une diction, une présence extraordinaires. Elle parle un français parfait il ne fallait surtout pas tomber dans le misérabilisme, la compassion, la pitié. Ça devait être digne, tenu, posé comme une
évidence. On a fait 19 prises et on s’est vite mis d’accord : celle qu’on voit était la plus forte, la plus intense. Quand on a tourné, il y a tout de suite eu une chaîne de solidarité dans la profession : on a trouvé de la pellicule, du matériel, un studio… Les labos se sont aussi engagés, jusqu’au tirage de 300 copies.
On a contacté le réseau des salles indépendantes ils étaient d’accord pour montrer le film pendant un mois ou deux. On s’est également adressés aux grands circuits ils ne nous ont jamais répondu. Bref, le film était en place fin mars dans 300 salles. Entre-temps, on a contacté plein d’autres cinéastes qui se sont associés à la démarche. Quand on a terminé le film, on s’est mis à rêver : « Et si on le montrait à Cannes ? » On s’est adressés aux responsables des différentes sections ils ont tous accepté ! Ensuite, il y a eu une phase de négociations avec eux et on s’est rendu compte que ce n’était pas si simple pour eux : il y avait le 50e anniversaire, la venue de Chirac, la période électorale. Par ailleurs, le Festival est sous la tutelle du ministère de la Culture, donc du gouvernement Juppé… On n’obtiendrait pas que le film passe en sélection officielle avant la venue de Chirac. Bon, le film est passé dans les sections parallèles, et finalement en compétition officielle avant le film de Kassovitz : il a été très applaudi. Gilles Jacob et Pierre Viot ont pris la parole à cette occasion. D’un côté, il y a Chirac, la campagne électorale… mais de l’autre, le Festival de Cannes ne peut pas se couper des cinéastes français qui sont quasi unanimement derrière ce petit film.
Le bilan de cette opération cannoise, c’est une adhésion franche et massive. En fait, le film est passé assez souvent en avant-programme, à la demande des cinéastes dont le film suivait. Parmi les festivaliers, la majorité l’a vu, certains même cinq ou six fois. L’idée de montrer ce film à Cannes n’était pas de « gâcher la fête » ou d’embarrasser les organisateurs ; il s’agissait de montrer que l’ensemble des cinéastes français soutient le combat des sans-papiers. C’est un acte civique, citoyen. On pense que leur demande de régularisation est légitime, fondée et juste. Les cinéastes africains présents à Cannes ont souhaité emporter une copie du film dans leur pays pour le faire passer dans leurs télévisions respectives. Pour les formes d’actions collectives à venir, on est en train d’élaborer de nouveaux projets. On ne lâchera pas le morceau. Ce film, ce n’était pas trois p’tits tours et puis s’en vont. On sent très bien que quand les libertés de quelques-uns sont menacées, ce sont nos libertés à tous qui le sont. »
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