Elle-même sans enfants, Jane Austen eut avec ses nièces une correspondance suivie. Un prolongement attachant de son univers romanesque.
« Ma chère Fanny, tu es inimitable, irrésistible. Tu es le délice de ma vie. Quelles lettres si divertissantes m’as-tu envoyées ces derniers temps !” Morte à 41 ans, célibataire et sans enfant, Jane Austen a tenu auprès de ses nièces le rôle d’aînée et de conseillère, de parente attentionnée. Elle leur a écrit, en marge de la rédaction d’Emma, son dernier roman. La plus âgée, Anna, rêve de gloire littéraire et de marcher dans les pas de sa tante ; la seconde, Fanny, ne pense qu’à l’amour ; la troisième est une enfant de 9 ans, Caroline, surtout préoccupée par sa poupée de cire.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Austen se montre, dans ces lettres, tendre et enjouée. On n’y trouve nulle trace d’ironie : ces marques de double discours, présentes dans ses romans, sont ici gommées au profit d’une bienveillance prosaïque et filiale. Pourtant, Jane Austen ne cesse d’y être un écrivain : ses lettres poursuivent l’exploration de la tension, inépuisable, entre “raison” et “sentiment”, passion et conventions sociales.
La romancière est parfois super bitchy
C’est ainsi que cette “tante affectionnée” recommande à Fanny de laisser sa chance à un prétendant, au regard de toutes ses qualités, tout en fuyant, à terme, “la souffrance d’être liée sans amour”. A Anna, primo-romancière en quête de reconnaissance, elle formule mille remarques sur son manuscrit, se montrant élogieuse (“tes 48 pages se sont avérées une lecture fort respectable et fort copieuse”) et parfois super bitchy, attaquant un “récit un peu flottant” coupable de “plagiat” d’Orgueil et préjugés…
Austen exerce un fort pouvoir de fascination sur ses nièces. Cela lui donne une place enviable et un peu dangereuse : celle de démiurge de leur vie. Sa correspondance est pleine de recettes romanesques et d’acuité psychologique ; pleine de reconnaissance, aussi, envers ces jeunes parentes qui rappellent les “bandes de filles” si glorieuses de ses propres livres. A Fanny : “Je sens que ta délicieuse tournure d’esprit se verra atrophiée par les affections conjugales & maternelles, alors je te haïrai.”
Du fond de mon cœur (Finitude), traduit de l’anglais par Marie Dupin, 176 pages, 16,50 €
{"type":"Banniere-Basse"}