Alors que l’UMP vient de voter l’adoption de son nouveau nom de parti « Les Républicains », la notion de « République » semble n’avoir jamais été aussi présente dans le discours politique. Pour la maître de conférences en science politique Delphine Dulong, ce terme sert « d’argument d’autorité », sans pour autant avoir une définition précise.
Mardi 5 mai, l’UMP de Nicolas Sarkozy adoptait quasiment à l’unanimité le nouveau nom de parti « les Républicains », provoquant une levée de bouclier au sein du reste de la classe politique et de l’opinion publique. Le terme de « République » semble, de plus en plus, au coeur des discours des hommes et femmes politiques français. Au risque de ne plus bien en connaître le sens? Nous avons interrogé Delphine Dulong, Docteure et Maître de conférences, responsable de la licence de science politique à Paris 1, auteure de Sociologie des institutions politiques (2012).
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On a l’impression que les hommes politiques mobilisent plus souvent la notion de « République » hier qu’aujourd’hui, est-ce vrai?
Delphine Dulong – En fait, c’est plutôt une impression. Il y a certes un peu plus d’occurence de cette notion depuis les années 2000, mais c’est surtout en 2002, avec l’élection présidentielle, que le terme a été énormément utilisée. De manière générale, la notion de « République » est mobilisée dans les grandes périodes de tension, quand la compétition politique et électorale est beaucoup plus intense.
Si tous les partis mobilisent la « République » à tour de bras, quel est l’intérêt pour se démarquer des autres?
Comme dans tous les discours, pour légitimer et appuyer les positions, on va avoir besoin d’un certain nombre d’argument d’autorité. Et revenir aux valeurs de la République, et à la notion de République en général, ça fait justement partie de ces grands mots valise, ces symboles qu’on peut difficilement contester.
Qu’est-ce qu’elle représente, cette notion de République?
En fait, tout et rien. C’est l’avantage de cette notion. Je pensais justement à Claude Nicolet, qui est un grand historien de la République. Il a consacré un livre entier à L’idée républicaine en France. Dans son introduction, il dit clairement que c’est un mot qu’on utilise couramment, et pourtant quand on essaie de réfléchir à ce qu’on met derrière concrètement, très précisément, les choses deviennent beaucoup plus compliquées.
Si vous regardez les définitions dans le Larousse ou le Petit Robert, vous verrez qu’il n’y a pas une définition unique, il n’y a pas de consensus. Nicolet dit que c’est un mot qui n’a pas cessé d’évoluer, lié à plein d’expériences politiques, et chargé de sens au fur et à mesure de l’histoire. Il dit que « c’est un mot d’une imprécision redoutable ».
Qu’est-ce que ça veut dire, quand on en parle aujourd’hui ?
C’est un mot qui charrie avec lui toute une histoire, qu’on maitrise plus ou moins bien, notamment l’histoire du 19e siècle, des luttes politiques et la démocratisation de la vie politique. Donc c’est un mot connoté, en soi, de manière très positive. C’est parce qu’il charrie toute cette histoire derrière lui, de symboles, de grands noms de la République, qu’il peut justement servir d’argument d’autorité dans un discours.
N’est-ce pas paradoxal d’utiliser cette notion qui fait appel à l’histoire, quand on veut être un parti moderne?
Non, ce n’est pas paradoxal, car un des grands principes des mécanismes de la légitimation, c’est trouver quelque chose qui fasse consensus (et pour la République, à part la démocratie, il n’y a pas d’autre mot aussi fort en politique), et c’est de se prévaloir d’une certaine continuité. Ce n’est pas paradoxal de dire qu’on est moderne, mais qu’on veut le changement dans la continuité. C’est comme ça qu’on arrive, la plupart du temps, à faire passer des grandes réformes.
Dans les discours, on entend beaucoup parler des « valeurs de la République », à quoi correspondent ces valeurs ?
Vous trouverez une définition dans le préambule de la Constitution, certaines choses sont inscrites dans le droit constitutionnel. Mais au sein de la société, il n’y a pas de consensus, tout le monde ne met pas la même chose derrière cette notion.
Ce terme a-t-il été plus accaparé par la gauche ou par la droite ?
Ça transcende les clivages politiques, très largement. Après, il faudrait voir si le parti de gauche ou le FN l’utilisent autant que le PS ou l’UMP… Enfin, l’ex-UMP!
D’ailleurs on parle beaucoup du changement de nom de l’UMP en « Les Républicains », qui ne plaît pas à tout le monde.
Oui, ça fait très « retour aux sources ». Il ne faut pas oublier que le premier parti gaulliste, en tout cas sous la Ve République c’est l’UNR (l’Union pour la Nouvelle République). Donc une façon de revenir aux sources, c’est de capter l’héritage symbolique du général de Gaulle. S’il y a une figure tutélaire aujourd’hui, c’est bien lui. A un moment donné, il est toujours bienvenu de rappeler cet héritage. Surtout au moment où le Front National devient un parti vraiment dangereux pour l’UMP, vu que la stratégie de Sarkozy a été de phagocyter une partie de l’électorat FN, et qu’elle peut se retourner contre lui.
Et l’utilisation, en soi, du terme « Les Républicains » ?
C’est malin, tellement consensuel et transpartisan, que c’est une façon de brasser large. Et en même temps, on dit tout et on dit rien.
Depuis longtemps, on se demande souvent si le Front national est un « parti républicain », est-ce que ça a un sens?
Pour moi ça n’a pas de sens. C’est un parti qui joue les règles du jeu, ce n’est pas un parti révolutionnaire qui entend conquérir le pouvoir par la lutte armée. Après, qu’est-ce qu’on met derrière le qualificatif républicain? C’est une façon d’exclure symboliquement le FN du jeu politique. Et je ne suis pas sûre que ce soit une stratégie très payante…
Est-ce que le FN a évolué ces dernières années pour rentrer dans cette case de « parti républicain »?
Manifestement. Le Front National dans sa globalité, je n’en sais rien, car le FN c’est un conglomérat de plusieurs choses. Il y a, et on le voit bien avec ce qu’il se passe entre le père et la fille. Marine Le Pen, depuis le départ, veut faire du Front National un vrai parti de gouvernement. Ce qui n’était pas le cas de son père. Maintenant, on voit bien que tout le monde n’est pas aligné sur cette stratégie-là. La direction du Front National a clairement évolué, oui, mais il y a toutes les autres troupes derrières pour qui ce n’est pas le cas.
Propos recueillis par Marie Turcan
Dulong (D.), Sociologie des institutions politiques, Paris, La Découverte, coll « Repères », 2012.
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