Les arts de la scène sont disséminés aux quatre coins de l’Angleterre. Si Londres reste la capitale du théâtre commercial privé, dont le succès repose essentiellement sur la comédie musicale, le plus grand festival se déroule à Edimbourg, Glasgow abrite les créateurs les plus inventifs et le théâtre fait par les passionnés se trouve du côté de Birmingham, Bristol ou Manchester.
Et malgré une fâcheuse influence américaine contre les financements publics, les Anglais ont appris depuis bien longtemps l’art de la débrouille.
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Théâtre
Un homme, une bombe scotchée sur le torse, explique au public d’une voix faible et avec des gestes trahissant une grande nervosité comment devrait être élaborée une pièce de théâtre pour avoir du succès. Un chien, sorti d’une pièce pour enfants, dans un costume ridicule, est interviewé sur son prochain suicide et en donne précisément les raisons, le jour, l’heure et les moyens utilisés. Les textes de Freud à propos du cas d’hystérie d’Anna O sont utilisés comme base de dance-music allant de la techno au trip-hop, pendant qu’on raconte des histoires horribles faites de petites révélations à propos d’une enfance irlandaise et anglaise. Voilà quelques-unes des scènes de Showtime présenté par la compagnie Forced Entertainement (« amusement obligatoire ») et de Indulgence, par la compagnie irlandaise Desperate Optimists. C’est le ton du moment, l’humeur d’un théâtre contemporain original qui n’a pas peur de divertir et qui ne craint pas le ridicule tout en parvenant, au bout du compte, à se révéler aussi politique que provocant avec une belle charge émotive. Les groupes de ce genre opèrent hors des courants institutionnels, hors des mouvements d’écriture ou des institutions littéraires. Leur public, comme celui des groupes Blast, Theory, Reckless Sleepers ou Stan’s Cafe ou bien comme la multitude d’artistes qui se produisent en one-man show dans les pubs, est jeune, cultivé et au moins aussi intéressé par le cinéma, la musique ou les boîtes de nuit que par le théâtre. Artistes et public n’aiment guère les classements par genre et considèrent que certaines performances de Tricky ou de DJ Shadow empruntent, par bien des aspects, aux canons établis du théâtre. Le théâtre britannique d’aujourd’hui explore deux voies originales : la première, particulièrement dans les spectacles en solo, est le désir de harceler et de provoquer les spectateurs. Cela donne un résultat qui relève à la fois du divertissement et de la mise au jour de vraies questions de société. Par exemple, pour l’écrivain et performer noir Ronald Fraser Munro, cela peut mener à un spectacle d’après Kurt Weill où l’on voit un grand Noir de 1, 90 m habillé en SS qui chante laconiquement Alt mann reefer (Old man river). Pour Lisa Wesley, autre performer, cela conduit à un examen sans compromis du voyeurisme du public face à un performer/objet de sexe féminin. C’est ainsi qu’on peut la voir déambuler quasiment nue, en train de jauger une serviette périodique, en marmonnant un texte par ailleurs déjà enregistré sur une bande magnétique. La deuxième tendance est tournée vers une exploration des autres formes artistiques. Pour les jeunes artistes anglais, la meilleure façon de faire du théâtre semble justement de ne pas en faire : projections, installations, occupations de sites publics, collaborations internationales, travaux à partir du multimedia et du film font partie intégrante des spectacles de théâtre et des performances. Le monopole étouffant du théâtre littéraire est définitivement cassé et les années à venir sont pleines de promesses excitantes.
Tim Etchells (écrivain et journaliste)
Danse
La danse explose. Tant au niveau régional que national, on assiste sur les scènes britanniques à un incroyable renouveau. Il ne s’agit pas ici des grosses machines reconnues dans le monde entier type Ballets Rambert, mais de ces compagnies indépendantes, de ces groupes parfois formés de deux individus seulement et qui ont à la fois intégré Trainspotting, les séries télévisées et Tricky dans leur imaginaire. Ces groupes ont cassé la formation traditionnelle, se sont affranchis de toutes les frontières et transmettent leur vision de la société avec acuité. La situation de la Grande-Bretagne est, à bien des égards, très différente de celle de la France : la richesse et la diversité de la création musicale reste notamment un atout que la danse contemporaine vient de prendre en compte comme jamais auparavant. Le dernier grand succès en la matière a pour nom Jonzi D. Rapper et chorégraphe à la fois, il vient de donner quatre représentations à guichets fermés dans le temple londonien de la danse contemporaine, le Place Theatre. Politique, impertinent, en colère, parfois poignant sans être mélo, il dirige un groupe de danseurs de break, ne dédaigne pas passer derrière les platines pour scratcher et, en deux heures et demie, transforme une salle en un amas hurlant qui ressemble plus à un concert de rock qu’à l’écoute polie et déférente du spectateur moyen de ce type de spectacle. De la même manière, c’est à Nottingham qu’a commencé le travail de PJ Harvey avec Mark Bruce, un ancien danseur de la compagnie flamande d’Anne Teresa de Keersmaeker un mariage pour le moins improbable et totalement impensable en France. Mais si tout cela est aujourd’hui possible, c’est parce qu’un certain nombre d’aînés ont défriché le terrain. Parmi eux, Lloyd Newson et DV8, qui ont affranchi toute une génération de chorégraphes de la peur de l’utilisation des mots sur scène. Mais la danse pure et dure a également trouvé une voie originale en Grande-Bretagne, même dans sa forme la plus abstraite. La meilleure représentante de ce mouvement est Shobana Jeyasing, pur produit de l’immigration indienne. Elle a su intégrer sa culture traditionnelle et rendre tout ce qu’elle a saisi de l’Angleterre dans une forme quasi plastique qui hypnotise totalement. A la fois complexe et subtile, cette chorégraphie entraîne le spectateur de force dans une sorte de transe avec percussions et rayons laser, mélangeant les rythmes de baratham classique indien à la danse contemporaine. En utilisant les musiques de compositeurs tels que Glyn Perrin ou Michael Nyman, elle se retrouve toujours là où on ne l’attend pas. Enfin, les Britanniques sont aussi très doués dans leurs recherches sur les frontières entre art populaire et disciplines artistiques réputées difficiles. Ils sont les seuls à pouvoir produire des artistes comme Arlette Georges, qui travaille à partir de ses racines écossaises, ou les géniales Cholmondeleys, groupe entièrement composé de femmes qui ne rechigne pas devant quelques figures que Michel Drucker ne renierait pas dans ses émissions.
Emma Gladstone & Pierre Hivernat.
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