Si la zoophilie reste moralement réprouvée et juridiquement réprimée, elle a néanmoins des adeptes… bien cachés. Exploration des bas-fonds d’internet pour en savoir plus sur une déviance qui interroge la part animale de tout être humain et fait émerger la question du spécisme.
Certains coming-out restent dans les annales de l’embarras. Cécile (tous les prénoms ont été modifiés), 38 ans, se souvient encore, vingt ans après, du malaise provoqué par son ami Benoît lors d’un dîner entre amis. Confiant et éméché, le jeune homme confesse une fellation… avec son chien.
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“On n’a rien dit et, après un silence consterné, on est passé à autre chose”, raconte Cécile. L’histoire est restée au placard et Benoît est devenu l’ami weirdo un peu dégueulasse qui se souviendra longtemps qu’on ne se vante guère d’intimité poussée avec son copain à poils.
“Un cunnilingus serait ouf…”
Les rares personnes à concéder un trouble sont même les plus zélés contempteurs des amours interespèces. Coralie interdit à sa chienne de lui lécher les pieds et les mains. “Ça me gêne de la laisser me donner du plaisir !, s’emporte-t-elle. Les chiens ont la langue agile, musclée, appliquée et précise. Quand ma chienne me lèche les mains, je ressens un plaisir dérangeant, une sensualité bizarre… Un cunnilingus serait ouf… Je ne le ferai jamais, mais je peux comprendre le passage à l’acte de gens seuls.”
Lithographie japonaise, manga, littérature, cinéma, tous les arts se sont emparés de la puissance symbolique et métaphorique de la zoophilie. Une des plus célèbres estampes érotiques d’Hokusai, Le Rêve de la femme du pêcheur, représente une femme et une pieuvre enlacées.
Rabelais, Apollinaire, le marquis de Sade, La Belle et la Bête, King Kong… on ne compte pas les auteurs et les œuvres qui ont joué à la lisière de la norme. Mais, dans le champ de l’imaginaire, la sexualité interspécifique (relation entre des individus d’espèces différentes) est surtout le propre du mythe et des fables.
Zeus se transforme en cygne pour coucher avec Léda
La mythologie grecque fourmille ainsi de créatures hybrides, monstres mi-homme, mi-bête comme le Minotaure, fruit de l’accouplement de Pasiphaé et d’un taureau. Zeus se transforme en cygne pour coucher avec Léda, en taureau avec Europe et en satyre pour séduire Antiope.
Selon l’helléniste et mythologue Françoise Frontisi-Ducroux (auteure de L’Homme-Cerf et la Femme-Araignée – Figures grecques de la métamorphose, Gallimard), la régression à l’état animal dessine l’imaginaire du rapport entre les sexes en soulignant l’animalité de la femme et la bestialité chez l’homme qui la désire.
Au-delà, ajoute-t-elle, le mythe grec de la métamorphose dessine des frontières : celles de ses propres limites et celles de la relation entre hommes, dieux et animaux, dont la nature est au final destinée à rester distincte et visible.
Des fétichistes SM déguisés en poney ou en chien
Si des sous-cultures fétichistes réinterprètent aujourd’hui l’univers de l’hybridation zoophile, à l’image des furries (communauté d’adeptes d’anthropomorphisme portant un costume d’animal totem en peluche – ndlr) et des fétichistes SM déguisés en poney ou en chien, l’expression d’une vraie sexualité zoophile, où l’animal est l’objet du désir, reste perçue comme une déviance monstrueuse.
“Une aversion pour la sexualité non reproductive”
“Nos ancêtres ont intériorisé une forte réprobation de la zoophilie pour des raisons telles que la peur de la contamination, une aversion pour la sexualité non reproductive, puis une tendance générale des systèmes moraux à prohiber les transgressions au sens littéral : du sacré, de l’espèce, de la nature…. Pour ces diverses raisons, le crime longtemps ‘innommable’ a été considéré ‘contre-nature’, explique Nicolas Delon, professeur d’Environmental and Animal Studies à New York.
Au XVIe siècle, rappelle le professeur d’ethnologie Sergio Dalla Bernardina dans la revue Anthropologie et sociétés (2015), des bergers et paysans convaincus de sodomie ovine, canine ou chevaline ont été pendus puis brûlés avec l’animal afin d’éliminer toute trace du crime.
Autres temps, autres mœurs, on ne brûle plus les zoophiles en place publique, on les affiche dans la rubrique “faits divers”, espace moderne d’anathème collectif. Combien sont-ils aujourd’hui à transgresser les frontières de l’intime entre humains et animaux ?
“Sûrement plus que ce que l’on pense (en comptant les irréguliers). Mais il est quasiment impossible, étant donné la perception sociale de la pratique, d’avoir des chiffres directs”, précise Nicolas Delon. Les seuls régulièrement cités proviennent des Rapports Kinsey, larges études sur la sexualité des Américains publiées en… 1948 et 1953 ! Parmi les 20000 personnes interrogées, 8% des hommes et 3,5% des femmes affirment avoir eu des contacts sexuels avec des animaux. Le chiffre s’élève, selon le rapport, à 50% pour les hommes vivant en zones rurales.
La zoophilie reste un interdit social fort
Une sexualité qui, lorsqu’elle émerge socialement, est traitée au mieux comme une bizarrerie exotique et plus généralement comme une affaire de mœurs sordide. La zoophilie reste un interdit social fort qui repousse ses pratiquants aux marges de la société. Pour accéder à l’univers caché du zoophile, il faut glisser dans les bas-fonds d’internet.
A moins de se sentir tout chose à l’approche d’un labrador, il ne faut pas taper zoophilie dans Google. Certaines images s’impriment à vie sur la rétine. On y trouve trois sortes de registres : de la zoopornographie, des sites de rencontres plus ou moins trash et des modes d’emploi du parfait zoophile.
Les vidéos zooporno mettent principalement en scène des femmes et des chiens ou des femmes et des équidés. Comme dans le porno mainstream, on trouve des gang bangs, mais canins, et des éjacs faciales, mais de poneys. Les sites de streaming comme YouPorn ne proposent pas de zoophilie.
“C’est une pornographie illégale, elle a peu pesé sur le porno mainstream”
“C’est une pornographie illégale, elle a peu pesé sur le porno mainstream, explique la réalisatrice et ex-pornstar Ovidie. D’ailleurs, je ne connais personne qui tourne de la zoophilie.” Ou presque. La Cicciolina, star du X italien des années 1980, a fait exception à la règle avec un cheval.
En Europe, elle n’est “légale” qu’en Finlande, en Roumanie et en Bulgarie
Dans les années 1960-70, le genre a eu sa star, la Danoise Bodil Joensen (lire ci-dessous). A l’époque, le Danemark est la plaque tournante de la production pornographique mondiale. Longtemps, ce petit pays sera tolérant envers la zoophilie, avant de l’interdire en 2015 de crainte de devenir un “bordel zoophile”. En Europe, elle n’est “légale” qu’en Finlande, en Roumanie et en Bulgarie. Il est très probable que les vidéos zoopornographiques disponibles sur le net proviennent de réseaux de prostitution et d’exploitation de la misère.
L’Allemagne a longtemps été un paradis pour les zoophiles. En 1969, dans la foulée du mouvement contestataire de 1968, l’article du code pénal allemand relatif à la “sodomie” (terme générique qui désigne la zoophilie outre-Rhin) a été supprimé.
Tant qu’aucune souffrance n’était infligée aux animaux, les relations sexuelles entre humains et bêtes étaient légales. Il aura fallu plus de quatre décennies pour que cette grande tolérance vis-à-vis des zoophiles soit remise en cause, sous la pression des associations de défense de la cause animale. Depuis 2013, ceux qui s’y adonnent encourent une amende pouvant aller jusqu’à 25000 euros.
Une association de défense des droits des zoophiles
De leur côté, les zoophiles allemands ont tenté, sans succès, de faire barrage à la nouvelle loi en lançant une offensive dans les médias, décrivant dans le détail leurs relations “sentimentales” et leurs pratiques sexuelles avec leur chien. Une association de défense des droits des zoophiles a été créée, Zeta (“Engagement zoophile pour la tolérance et l’information”), dont le président, Michael Kiok, bibliothécaire, est “en couple” avec sa bergère allemande Cessy.
Les zoophiles utilisent internet et son réseau de petites annonces pour contourner cette pénalisation, se rencontrer et proposer des “plans cul zoo”. Planquées au milieu d’annonces plus ou moins trash de vivastreet.com ou onseconnait.com, des publications zoophiles proposent des “godes à quatre pattes”, vantent les mérites d’un “magnifique dalmatien très endurant” et cherchent des “femmes zoo pour saillie et plus si affinités”.
“La zoophilie fonctionne avec un imaginaire essentialiste”
“Comme les mots ‘étalon‘ ou ‘chienne’, le terme ‘saillie’ est aussi utilisé dans l’univers porno mainstream mais les zoophiles l’emploient de manière moins métaphorique, analyse François-Ronan Dubois, spécialiste en porn studies. La zoophilie fonctionne avec un imaginaire essentialiste, naturaliste, de domination, où la femme est plus faible que le mâle, tout comme dans l’immense majorité de la documentation pornographique.”
“Le chien se verrouille dans l’anus avec sa bulbe érectile”
Eros, zoophile novice, traîne sur les sites de rencontre sous le pseudo de Satyre57. Il a mis en ligne cette annonce : “Je suis un homme bi sans aucun tabou et je voudrais trouver des personnes qui seraient prêts (sic) ou prêtes à m’initier à la zoophilie avec un chien pour commencer puis par la suite avec âne et poney.”
Interrogé par mail, il détaille les avantages du chien mâle : “Le chien se verrouille dans l’anus avec sa bulbe érectile (le knot, en anglais) qui grossit pour ensuite éjaculer une grande quantité de sperme.” Il a pu échanger virtuellement avec des zoophiles aguerris.
“Toutes les personnes avec qui j’ai discuté sont très respectueuses des animaux, ne leur feraient jamais de mal, ne les forceraient pas. Si c’est l’animal qui décide, c’est une relation de confiance et d’amour. D’ailleurs, j’ai deux chats mais ne vous inquiétez pas, ils n’ont rien à craindre, lol”, nous précise-t-il.
Des personnes “plus proches de leur animal que des autres humains”
Ce discours autour de l’amour et du respect est l’argumentaire promu par le réseau Zeta. Les membres du forum zeta-fr.net (toujours consultable mais fermé par son administrateur en août 2016) se présentent comme “les vrais zoophiles, amoureux et protecteurs des animaux”.
“Zoopornographie et zoosadisme sont très différents de ce que les avocats de la zoophilie revendiquent, explique Nicolas Delon. Soit une véritable forme d’érotisme, d’attirance sexuelle, d’amour pour les autres espèces, souvent sans pénétration, parfois même sans contact sexuel. Ces personnes se sentent souvent plus proches de leur animal que des autres humains.”
Les utilisateurs peuvent cocher “j’aime les chiens mâles”, “les chiennes”…
On trouvait pourtant sur zeta-fr.net du love et du trash. Comme sur certains sites de rencontres classiques, ses utilisateurs confient leurs préférences : ils peuvent cocher “j’aime les chiens mâles”, “les chiennes”, “les deux”, “les chevaux mâles”, “les juments”, “les deux”, “je ne sais pas trop encore”, “j’aime tout”, “j’aime un autre type d’animal” ou “j’aime regarder”.
On discute de “comment franchir le pas” ou de la taille des testicules des dogues allemands. “Certains adultes ont deux petites noix collées à l’entrejambe, et d’autres, deux grosses tomates suspendues qui me font péter les plombs (j’ai dû m’éloigner rapidos aux toilettes la dernière fois)”, témoigne Balthazar. Un autre membre lui déconseille le dogue allemand, “fragile” et “fainéant”, et lui recommande un “cane corso” ou un “mâtin de Naples”.
“Léchez-lui les babines, aspirez sa langue”
Un Wiki zoophile, “le Ziki, projet d’encyclopédie libre sur la zoophilie”, en ligne sur www.animalzoofrance.net, recense 500 articles, de la Zoophile Rights Day (une journée prozoo créée en 2013 à l’initiative des Allemands) aux dernières actualités juridiques, en passant par les “mensonges propagés par les assos de protection animale”.
Ici, on dénonce “la violence pendant l’acte et la pénétration d’animaux de petite taille”. On prodigue des conseils pratiques pour ne pas se faire repérer – ne pas liker de pages zoophiles sur Facebook – et un mode d’emploi sexuel et amoureux avec son partenaire, le “chien d’amour”.
“Le cou puissant d’un chien, ses babines, ses yeux, ses pattes, sa belle musculature sont des attributs pouvant rendre (le zoophile) amoureux, de la même façon qu’un homme normal peut aimer un top model féminin”, y lit-on en guise de préambule avant quelques conseils pour l’exciter : “Caressez-le en bas de la poitrine ou sous l’encolure, mais jamais sur la tête. Léchez-lui les babines, aspirez sa langue, sucez-le en vous tenant en-dessous de lui.”
On apprend aussi que le labrador, “ce grand séducteur”, est “connu pour ses qualités d’amant” : “Naturellement attiré par les odeurs anales et vaginales (…), il peut devenir très câlin pour arriver à ses fins.” Ce manuel du parfait petit zoophile conseille de “couper ses ongles” et de “raser ses poils” pour préserver “la peau fragile du sexe canin” et de ne pas se laver “pendant les deux jours précédant l’échange”. Le tout, assure-t-on, avec le consentement de l’animal.
“Il ne faut pas oublier que le zoophile nourrit le chien”
Un argument réfuté par les défenseurs des animaux et les chercheurs. “Il ne faut pas oublier que le zoophile nourrit le chien, ce dernier dépend de lui”, oppose Brigitte Gothière, porte-parole de l’association L214. Nicolas Delon met à mal la thèse du consentement : “Même s’il prend du plaisir et semble consentir, c’est-à-dire qu’il ne résiste pas et exprime tous les indices de la satisfaction, il ne consentira jamais à ce que son compagnon humain a l’intention de faire.”
“La résolution classique de la philosophie morale est que l’animal ne peut donner son consentement, donc on l’exclut du domaine sexuel. Qu’on le traite bien n’efface pas le fait qu’on le tue ou le viole”, confirme François-Ronan Dubois.
A part sur le net, on trouve surtout des zoophiles dans la rubrique faits divers de la PQR. En Suisse, un ado se fait choper avec un veau. En Belgique, un autre ado prend quatre mois avec sursis pour avoir abusé du labrador de la famille. En France, en mars dernier, un homme de 59 ans est condamné à trois mois de prison avec sursis pour “sévices sexuels envers un animal domestique ou apprivoisé” après avoir été surpris par sa femme et sa fille avec une poule.
“L’étrange affaire du poney Junior”
Le traitement par la loi de la zoophilie soulève des paradoxes juridiques et moraux liés au statut des animaux dans notre société. Par exemple, sodomiser cette poule – qui meurt après un tel traitement – ou une vache, qui ne meurt pas, sera puni de la même manière, indique l’avocat Emmanuel Pierrat. Ce n’est pas le dommage qui est condamné mais l’interdit moral. Peu importe la vie ou la souffrance de l’animal.
Un paradoxe développé par la juriste Marcela Iacub dans son livre Confession d’une mangeuse de viande. L’essayiste revient en détail sur “l’étrange affaire du poney Junior”. Le mis en cause, Gérard X., est condamné pour avoir sodomisé Junior. Or, note Iacub, “Gérard X. aurait pu tuer Junior pour le manger sans encourir aucune peine”. C’est encore une fois le désir déviant qui est puni plus que la peine de l’animal.
Le philosophe utilitariste australien Peter Singer, père du mouvement des droits des animaux, a provoqué l’ire d’une partie des défenseurs de la cause animale au début des années 2000 avec sa position iconoclaste sur la zoophilie : il voit dans son rejet notre volonté de nous différencier des animaux. “Cela ne fait pas de la sexualité au-delà des frontières des espèces quelque chose de normal, ou de naturel (…) mais cela signifie assurément qu’elle cesse d’être une offense à notre dignité d’êtres humains”, écrit-il dans un texte daté de 2003.
Autrement dit : si le fait de manger les animaux est une construction culturelle, leur non-consommabilité sexuelle l’est tout autant. Dans sa lignée, l’association de défense des animaux la plus active du moment, L214, n’en fait pas une priorité, même si elle condamne la pratique. “Bien sûr que je suis opposée à la zoophilie ! C’est comme si vous me demandiez si j’étais pour le viol, s’insurge Brigitte Gothière. Mais pourquoi serait-on plus choqué par un acte de zoophilie que par le fait de découper et manger les animaux ?”
La porn-star la plus underground de l’histoire
La Danoise Bodil Joensen était, littéralement, une beauté sauvage. Elle grandit dans les années 1950 sous le joug d’une mère bigote. Bodil a peu d’amis, hormis son chien, “l’amour de sa vie”, avec qui elle entretient une relation zoophile dès l’adolescence. Jusqu’à sa mort, elle gardera sa photo en médaillon autour du cou. Dès l’âge de 15 ans, Bodil travaille dans des fermes. A 17 ans, elle tourne un premier film X et, à 25 ans, elle se spécialise dans la zoopornographie.
Son film le plus fameux, Animal Lover, fera d’elle une icône underground et une curiosité mondiale. Sur les quelques images accessibles sur le net, on la voit, blonde et gironde, chevauchant nue dans une esthétique rabelaisienne, naturaliste et seventies. Avec l’argent des tournages, elle se paie une ferme spécialisée dans l’insémination située au milieu d’une campagne danoise conservatrice et moraliste. Des curieux s’y pressent pour la filmer avec ses animaux.
Ses performances avec des porcs lui valent le surnom de Boar Girl (“La femme-sanglier”). Mais Bodil se retrouve rapidement en difficultés financières, acculée par les médisances. Endettée, elle se produit chaque soir dans des shows porno, mais à la suite de la mort de sa nouvelle chienne, Spot, elle fait une dépression et sombre dans l’alcool. Elle délaisse ses animaux et l’Etat l’envoie en prison pour négligence. Ils finiront euthanasiés. Suite à ce drame, dont elle ne se remettra pas, elle tombe dans la prostitution et la misère. Elle meurt en 1985, à 40 ans.
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