Atypique, indépendant et belge, Boris Lehman fait des films sur un sujet aussi vaste que passionnant : lui-même
Boris Lehman est belge, et il a même fait un film pour dire à quel point il en est fier. C’est surtout un cinéaste atypique, prolixe et indépendant. Lehman présente le paradoxe de faire des films très différents alors qu’ils ont presque tous le même sujet : Boris Lehman. Est-ce à dire que la forme de l’introspection conduit toujours à la logorrhée ? Au vu des oeuvres de Woody Allen, Chantal Akerman ou Boris Lehman, on remarque que l’égocentrisme s’accommode mal de la concision et que c’est une pulsion insatiable. C’est que les représentations que l’on fait de soi sont autant de fiction de soi et, à ce titre, sont potentiellement infinies. Dès lors, plutôt que de se chagriner de ce babélisme du discours, on peut se réjouir de la nature davantage égocentrifuge qu’égocentrique de ces auteurs, prendre plaisir à la façon successivement pathétique et comique qu’ils ont de parler d’eux-mêmes, du tragicomique de leur vie et de la vie des autres. D’où Babel de Boris Lehman, vaste work-in-progress qui fait déjà plus de six heures et qui débute à Waterloo par une journée de grand vent. Devant la caméra, Lehman explique aux spectateurs qu’il tourne le premier plan de son film mais que, déjà, il doute. Il dit qu’il a froid mais qu’il tourne quand même, parce que c’est ainsi qu’il l’avait prévu. Ainsi, le film est la vie de Lehman, son voyage au Mexique, mais aussi le film en train de se faire. Mes entretiens filmés est également un film qui ne mérite pas d’être achevé et que, par conséquent, Lehman continue. A ce jour, une quinzaine d’entretiens, hilarants parfois, avec des gens qui aiment bien Boris (Patrick Leboutte, Dominique Païni, Jean-Pierre Gorin, Dominique Noguez…) dont Lehman lui-même (dans son bain). Il y a aussi A la recherche du lieu de ma naissance, où Lehman, juif belge d’origine polonaise, s’étonne d’être né en 1944 à Lausanne, précisément à côté d’un lac qui, à une lettre près, s’appelle comme lui. La question des origines hante Lehman qui recense, paraît-il, tous les Lehman du monde. Portrait du peintre dans son atelier, L’Homme de terre et Muet comme une carpe constituent un cycle judaïque dans sa filmographie mais on a du mal à conseiller ce dernier, une sorte de reportage un peu languissant sur la préparation de la carpe farcie pour la fête du Nouvel An juif.
Lehman tourne sans discontinuer depuis 1963, intégrant à son cinéma tout ce qui lui arrive. Il a aussi été pendant vingt ans animateur culturel dans un centre de réadaptation sociale pour malades mentaux. Dans ce cadre, il a fait des films dont le beau Symphonie : un malade joue son propre texte autobiographique sur les années de guerre, quand, « juif, fou et belge », il devait se cacher. Lehman est un cinéaste itinérant et artisan, au plus près des matériaux et du public. Il produit ses films, se déplace avec et, comme il se déplace beaucoup, compense ainsi leur non-distribution dans les circuits commerciaux. Pourtant, ce sont ses films qui le suivent à la trace.