De Copenhague à Helsinki, de Stockholm à Oslo, état des lieux du cinéma nordique. Si ces pays tentent de résister au tout-américain, les bons cinéastes se font rares (von Trier, les frères Kaurismäki…), et les spectres de quelques grands anciens (Dreyer, Bergman, Stiller…) pèsent sur le présent. Un présent que l’on peut juger sur pièces au Festival du cinéma nordique de Rouen.
Copenhague, Danemark : absence de Lars, ombre de Carl.
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Petit pays mais pays riche, le Danemark veille sur la bonne santé de son cinéma. Grâce à une structure d’Etat qui ressemble beaucoup à notre CNC et à la collaboration internordique (existence depuis 89 d’un Fonds nordique pour le cinéma et la télévision, le NFTF), une vingtaine de films sont produits chaque année. Charmants et hospitaliers, nos hôtes du Danish Film Institute (DFI) se mettraient en quatre pour nous faire plaisir. Il y a pourtant une chose qu’il leur est impossible de nous accorder : rencontrer Lars von Trier. Le plus grand cinéaste danois en activité ne se laisse pas approcher et son absence/présence pèse sur les conversations. Depuis le succès de Breaking the waves, Lars von Trier est devenu un héros rebelle (Hamlet pas mort !) qui refuse absolument de se soumettre à la moindre obligation de représentation. Il a autre chose à penser : ses films. Personne ne le voit, personne ne lui parle des soupirs embarrassés et un tantinet exaspérés accompagnent l’évocation de son nom. Pendant ces deux jours passés à Copenhague, on a même pu apercevoir la reine et son Français de mari en train de faire coucou à la foule assemblée devant le balcon royal, mais pas Lars. En revanche, on déjeune et on trinque plutôt deux fois qu’une avec son producteur, Peter Aalbaek Jensen. Fier d’être le partenaire artistique et financier de l’homme invisible, ce géant roux nous présente ses poulains (Thomas Vinterberg, Nicolas Refn, Niels Arden) dont les premiers essais sont financés avec les bénéfices de Breaking et les subsides de l’inévitable DFI. Situé de l’autre côté du spectre cinématographique danois, Per Host sorte de Claude Berri danois, mais en plus sympathique est le producteur de Bille August (Pelle le conquérant et le tout récent Smilla’s sense of snow, production internationale guère engageante) et de Nils Mamros (chantre de l’enfance, surnommé un peu abusivement « le Truffaut danois »). Le domaine de Per Host, c’est l’adaptation littéraire de prestige et la collection de Palmes d’or. Retour vers le passé avant de s’en aller, on visite les studios de la Nordisk (les plus vieux du monde, fondés en 1908, Carl Theodor Dreyer y est entré en 1912), conservés pieusement, avec leurs bâtiments de bois rouges et le fantôme de l’auteur de Gertrud. On n’y tourne plus que des pubs et des feuilletons télévisés. C’est un beau musée, mais hélas ! seulement un musée.
Oslo, Norvège : beaucoup d’argent, peu de cinéma.
Avec un excédent commercial record en 96, la Norvège se porte comme un charme, merci. Ce qui lui permet d’injecter quelques poignées de couronnes dans la production cinématographique. Comme au Danemark, la production nationale serait quasiment inexistante (seulement deux films en 96) si elle n’était pas soutenue par l’Etat norvégien et le NFTF. C’est ce qui frappe le plus dans l’ensemble des pays visités : la farouche volonté étatique de conserver un cinéma nordique, contre l’invasion des films américains et au mépris du « réalisme économique » appliqué dans d’autres secteurs. Contrées où la qualité de la vie n’est pas un vain mot et où il n’est pas question de laisser l’enfant roi seul face à Walt Disney et aux sous-produits nippons, les pays nordiques sont prêts à investir à perte pour avoir une production audiovisuelle qui continue de glorifier leur important patrimoine littéraire et qui fasse du cinéma pour enfants de qualité. Pour le meilleur, on peut encore tourner des films norvégiens en Norvège ; pour le pire, ces films ne sont trop souvent que la énième biographie filmée de Knut Hamsun (drame national, le prix Nobel a-t-il été nazi pour de la vraie ou pour de la fausse ?) ou des fables mièvres et ennuyeuses à propos d’obscurs tourments familiaux. En Norvège, le trait est encore accentué par la situation de la distribution. Si le cinéma est d’Etat, les salles sont restées communales et programment sans faiblir la production nordique. Mais Dag Alveberg, le chef du NFTF, est assez sarcastique sur le rôle de son propre organisme : les films norvégiens ne font que 7 % des entrées, l’argent investi n’est donc jamais remboursé et il y a trop de mauvais films pour pas assez de spectateurs. Seule Liv Ullmann l’ancienne égérie norvégienne de Bergman, devenue réalisatrice est parvenue à faire 700 000 entrées (plus d’un Norvégien sur cinq) avec une adaptation d’un roman « obligatoire » de Sigrid Undset, Kristin Lavransdatter. Quand on demande à nos amis norvégiens ce que ça vaut, ils répondent que c’est la mise en images fidèle d’un grand livre national.
Stockholm, Suède : faire sans « lui ».
En Suède, la situation est radicalement différente. Alors que la Norvège n’a jamais été un grand pays de cinéma, la Suède a compté quelques génies et abrite encore une véritable industrie cinématographique. En parcourant avec émotion les immenses plateaux du Svenska Filminstitutet où « il » a tourné Fanny et Alexandre, on comprend qu’on passe de la province nordique à la capitale. A Oslo, les salles de la Cinémathèque n’ont pas de nom ; à Copenhague, elles s’appelaient Carl (comme Dreyer), Benjamin (comme Christensen, le Fritz Lang danois) et Asta (comme Nielsen, la grande star du muet) ; ici, elles s’appellent Mauritz (comme Stiller) et Victor (comme Sjöström). Et pourtant malgré la bonne santé générale du cinéma suédois (qui fait encore 25 % des entrées, second en Europe derrière la France), la vingtaine de films produits chaque année et les coproductions fructueuses avec les autres pays nordiques , on sent bien qu’il y a un problème. C’est que les metteurs en scène suivants, malgré tout leur talent, ne « lui » sont jamais arrivés à la cheville. Depuis qu' »il » a annoncé sa retraite cinématographique, qu' »il » ne se consacre plus qu’au théâtre (et encore, plus pour longtemps, si l’on en croit « ses » dernières déclarations), le cinéma suédois a perdu à la fois son génie, son père et sa raison de vivre. Un seul être vous manque, etc. Au cours du dîner (délicieux : saumon et renne), on se retrouve assis à côté d’une de « ses » femmes, la toujours délicieuse Gunnel Lindblom, la piquante Anna du Silence et encore « sa » complice au Théâtre Royal de Stockholm. En actrice accomplie qui en a vu d’autres, la belle dame se contente de minauder quand avec Jean-Louis Perrier, mon excellent confrère du Monde nous lui racontons en bafouillant de lamentables histoires d’érections adolescentes. Même Stig Björkman, le grand critique suédois et l’auteur d’un livre d’entretiens avec « lui », s’avoue incapable de nous donner des nouvelles et se déclare un peu lassé de « sa » perpétuelle mauvaise humeur. On rencontre aussi Daniel, « son » fils, devenu metteur en scène à son tour, mais on n’ose lui poser des questions trop précises à propos de son paternel. Après une nuit passée à boire avec Stig et à regarder Thierry Lounas (des Cahiers) apprendre à jouer au black-jack (coûteux apprentissage…), la baie de Stockholm nous rappelle Monika. Décidément, « il » est partout… et nulle part.
Helsinki, Finlande : les bars des frères K.
Dernière étape du voyage, Helsinki sera aussi la plus amusante. Grâce à Mika Kaurismäki (celui de Zombie) et à sa femme, également réalisatrice, Pia Tikka. Si Aki (celui d’Au loin s’en vont les nuages) est à Paris, Mika et Pia nous font vite oublier son absence à grands coups de bière et de vodka finlandaise, la meilleure qui soit. Heureux propriétaires de deux bars le Corona (billards et ambiance bruyante) et le Moscou (portrait de Matti Pellonpää, barman pince-sans-rire, ambiance feutrée et nostalgie du « bon vieux temps » de l’influence soviétique) , les Kaurismäki sont les balises incontournables du cinéma local. Si Mika passe le plus clair de son temps à Rio et prépare un film (LA without a map) à Los Angeles avec Johnny Depp, Emmanuelle Béart et Steve Buscemi, il reste une figure familière des interminables nuits d’Helsinki. Il fait partie du paysage, personne ne s’étonne de le voir et d’ailleurs, les Finlandais ne s’étonnent jamais de rien.
Solidement arrimé à sa bouteille, il accepte d’enfreindre le célèbre dicton local (« On est là pour boire pas pour parler ! ») et nous explique que malgré la reconnaissance internationale leurs films se font toujours avec aussi peu d’argent et qu’ils restent de perpétuels « outsiders ». Il confirme aussi que sans l’aide de l’Etat, le cinéma nordique n’existerait plus depuis belle lurette mais que cette aide reste insuffisante et mal adaptée à la situation de chaque pays. De plus, le public du début des années 80 avide de rock et d’un cinéma qui montrerait autre chose que les lacs et les saunas a vieilli et n’a pas été remplacé. Producteurs d’une cinquantaine de films, les Kaurismäki font l’effet de maintenir un îlot de résistance artistique au milieu d’une mer d’indifférence. Et ils boivent pour garder la foi… Plus sobre mais tout aussi passionnée, Pirjo Honkasalo est la meilleure représentante de la tradition documentaire finlandaise. Selon nos sources indigènes, ses films (Mysterion, Tanjuska et les sept diables, Atman) sont emplis de beauté et de mystère. Pour les découvrir, ceux-là et tous les autres, une seule adresse : Rouen, ville nordique au c’ur de la Normandie.
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