Neil Hannon Comment es-tu venu à la musique ? Nick Cave En fait, je voulais être peintre. Mais on m’a foutu à la porte de l’école. J’avais pris trop de… mauvaises habitudes. Je me suis retrouvé dans un groupe assez médiocre (Birthday Party), qui a décollé grâce au mouvement punk. Je suis devenu […]
Neil Hannon Comment es-tu venu à la musique ?
Nick Cave En fait, je voulais être peintre. Mais on m’a foutu à la porte de l’école. J’avais pris trop de… mauvaises habitudes. Je me suis retrouvé dans un groupe assez médiocre (Birthday Party), qui a décollé grâce au mouvement punk. Je suis devenu riche et célèbre en partant de là.
Neil Hannon Je peux dire que depuis mon plus jeune âge, il fallait que je sois pop-star. J’ai suivi sagement des études jusqu’au moment où je n’ai pas vu le moindre chemin se dégager. Je me suis donc jeté dans la musique. Contrairement à toi, le punk ne représente pas grand-chose à mes yeux, ça ne me fascine pas du tout. L’attitude, le plus souvent, primait tellement sur la mélodie… Il faut dire qu’aux vrais débuts du punk, j’étais bien trop jeune pour tout ça. Ma réelle ambition était plutôt de ressembler à des types comme Nik Kershaw ou Howard Jones (rire gêné)… Je ne sais pas si c’est une bonne idée d’évoquer tout ça maintenant, juste après le déjeuner. Je crains que ça ne contrarie nos digestions.
Nick Cave Tu as raison. Il ne faut jamais revenir en arrière. Tu es très occupé, en ce moment ?
Neil Hannon Nous répétons beaucoup, dans la perspective de tous ces concerts que nous allons jouer avec une grande formation orchestrale. Un travail nouveau, dont je rêvais depuis longtemps. Je pense que ça pourrait te plaire.
Nick Cave Mon nouvel album ne se prêterait pas vraiment à ce genre de climat ni aux scènes immenses, j’imagine, où tu vas devoir te produire. C’est un disque de chansons très intimes, très introspectives, et pour moi aussi, c’est assez nouveau. Il y a quelque chose d’effrayant là-dedans. Il fallait que je le fasse, mais maintenant je suis un peu désarmé. Je ne sais pas trop comment en parler, comment nous interpréterons ces chansons des chansons d’amour, tout simplement sur scène.
Neil Hannon Beaucoup de chansons de mon album sont des chansons d’amour. A mon sens, A Short album about love en dit davantage sur ma manière d’écrire des chansons d’amour que sur d’éventuelles expériences personnelles : je ne pense pas avoir de vraie réflexion sur l’amour, je manque d’éléments.
Nick Cave J’ai accumulé un certain nombre d’expériences dans ce domaine. Et après tout ce temps, je suis à peu près sûr d’être complètement ignorant sur le sujet. L’amour m’a toujours semblé quelque chose de… flottant, d’insaisissable, d’imprévisible. Quelque chose qui, quoi que j’aie pu vivre et apparemment apprendre, m’a systématiquement renvoyé, un jour ou l’autre, à la case départ. C’est ce que j’ai essayé d’explorer dans mes dernières chansons. Elles annoncent peut-être une nouvelle ère. Un album où je ne tue personne, pour une fois.
Neil Hannon Tu as rencontré Scott Walker, n’est-ce pas ?
Nick Cave Oui. Un type extrêmement solitaire. Je crois qu’en tout et pour tout, nous n’avons parlé que cinq minutes, dans un restaurant.
Neil Hannon J’ai toujours eu beaucoup de difficultés à avoir des modèles. Mais lui, aujourd’hui, est le dernier héros qui me reste. Sûrement parce que je ne l’ai jamais rencontré.
Nick Cave Il est très mystérieux. Les circonstances de notre rencontre étaient particulières, puisque nous avons travaillé sur une chanson destinée à un film. Ça ne pouvait donc pas être une collaboration de longue haleine. Je connaissais son tempérament solitaire, son côté retranché. Je lui ai envoyé une cassette, il est venu chanter en studio et c’est à peu près tout. J’ai simplement été surpris par ce grand type qui avait pourtant l’air petit, qui tremblait un peu lorsqu’il est arrivé, lorsqu’il a enlevé son chapeau… J’aime Scott Walker, même si je trouve parfois qu’il en fait un peu trop, qu’il est à la limite du cabotinage. Beaucoup de ses chansons sont absolument magnifiques. Mais j’ai du mal à suivre les plus excessives, celles qui franchissent cette mince frontière entre le grandiose et le grandiloquent.
Neil Hannon Je n’ai jamais trouvé ses albums totalement irréprochables, ils ne sont pas toujours consistants. Il a cette voix qui emporte tout… Que penses-tu du mot « crooner » ? L’a-t-on déjà appliqué à ton chant ?
Nick Cave Au premier abord, ça résonne un peu à mes oreilles comme une insulte.
Neil Hannon Je pense que ça peut être positif dans le sens d’une performance vocale. Ça signifie généralement que l’on peut atteindre facilement, rapidement, la bonne intonation, le ton juste. Autant d’aptitudes indépendantes du contenu émotionnel des chansons, des mots, de l’interprétation.
Nick Cave Pour moi, « crooner » sous-entend une forme de sentimentalité que j’essaie, personnellement, d’éviter. Je n’aspire pas particulièrement à être un crooner. Avec le timbre que j’ai, je pourrais me laisser aller à cette facilité-là. Ma voix est naturellement harmonieuse je serais tenté d’ajouter « malheureusement ».
Neil Hannon Je crois qu’il y a beaucoup de sentimentalité dans ma musique. J’ai toujours l’impression que je peux arracher les tripes du public avec ça. Le problème est que ça ne vaudra rien si moi-même je ne ressens rien. Il y a là un équilibre à trouver, et c’est un grand art que tu as certainement atteint. Il n’est pas facile de te déconnecter des effets extérieurs, des conséquences que peut avoir ta musique sur les gens, pour continuer à te concentrer seulement sur ton propre engagement émotionnel la seule chose, a priori, qu’il ne faut jamais perdre de vue. Je cours après en permanence.
Nick Cave Je ne pourrais pas dire que ça m’obsède. Je ne réfléchis pas au public, je doute de toute façon qu’il puisse vraiment être transporté avec mes petites tragédies personnelles. Je pense qu’il est attiré vers ma musique par d’autres chemins, pas seulement par celui-là. Je ne voudrais pas, en tout cas, trop le pousser dans ce sens.
Neil Hannon Moi, c’est quelque chose que j’ai toujours recherché. Quand on voit des gens comme Brel, qui semblait toujours habité par sa propre souffrance, qui semblait courir à sa perte dans chacune de ses chansons, à chaque mesure, et qui avec ça réussissait à harponner le public, sans la moindre complaisance, la moindre facilité… Faire ça soir après soir, ça devient dément. Peut-être que sa démarche, sur scène, était tellement introspective qu’elle le coupait en fait de la réalité. Je ne sais pas si je pourrais supporter ça. Peut-être vaut-il mieux que je considère avant tout la chanson comme un travail, que je me concentre sur l’écriture.
Nick Cave Tout ça peut nous conduire assez vite à nous apitoyer sur nous-mêmes. Mais au quotidien, il faut reconnaître que je suis amené très souvent à m’émouvoir sincèrement de la tristesse de mon sort.
Neil Hannon Moi aussi.
Nick Cave Il est difficile d’afficher toujours un air courageux quand le monde essaie systématiquement, constamment, de te foutre en l’air. Toute la difficulté, en somme, est là. Arriver à transcrire ça dans une chanson, sans être une pleureuse ni un mauvais acteur.
Richard Robert
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