A notre demande, le chef d’orchestre de Divine Comedy a rédigé un texte sur ses récentes tribulations internationales et son album d’amour fou, A Short album about love. L’occasion de s’expliquer sur quelques sujets cruciaux : le jet-ski, le Tetris et les chiens-loups irlandais.
Par Neil Hannon
Elle était si belle : la femme la plus sublime qu’on puisse imaginer. Les gouttes de pluie, emprisonnées dans ses cils, avaient l’air d’avoir été collées là par de minuscules fées maquilleuses comme des faux cils de diamant dessinés par Dieu. Pendant que nous nous embrassions, les gouttelettes dégoulinaient le long de mon visage et rafraîchissaient mes lèvres. Nos mouvements semblaient si naturels que j’aurais pu la tenir serrée dans mes bras pour l’éternité.
Malheureusement, à ce moment-là, le réalisateur de la vidéo a hurlé « Coupez » et la belle créature s’est réfugiée dans les bras de son régulier. Je me suis assis avec une serviette sur la tête et j’ai décidé une bonne fois pour toutes que 1997 serait l’année où je deviendrais célibataire. Essayer de La trouver, Elle, La femme, ma muse ou même simplement tenter de trouver un bon coup est décidément trop compliqué à gérer pour un type comme moi. Je préfère encore fréquenter chiens et chevaux plutôt que de devoir m’humilier à poursuivre les femmes de toute façon, chevaucher à travers bois simplement précédé d’un chien fourrageant le sol est un des plus purs et plus innocents plaisirs que la terre, ce panier plein de fruits, puisse offrir à l’homme.
Je me revois, petit bébé Hannon, essayant de combiner les deux chien et cheval en chevauchant le chien-loup irlandais de ma tante sur le parquet du salon. Je dois signaler que la pauvre bête est tombée raide morte une semaine plus tard, frappée par une crise cardiaque. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à comprendre la différence fondamentale entre les chiens et les chevaux : les chevaux ne rapportent pas les bâtons. Et les chiens-loups irlandais meurent si on s’assoit dessus.
La genèse de A Short album about love a été pleine d’enseignements similaires. Mes deux premiers albums, Liberation et Promenade, n’étaient rien d’autre que des exercices nés d’élans de l’imagination : des chansons venues du ciel, des nuages, trouvées dans mes rêves. Un monde fantastique chanté par une pop-star imaginaire. Un peu comme si j’avais alors tenté de deviner à quoi pouvait ressembler la vie d’une vedette mondiale avec une Rolls Royce dans le garage. A l’époque du disque suivant, Casanova, je suis effectivement devenu cette pop-star universellement adorée avec deux Rolls Royce et une Buick dans le garage. Du coup, Casanova s’est transformé en une suite de pages de journal intime mises en musique, avec juste ce qu’il faut de fantasmes et d’illusions pour rendre le tout captivant. Mon nouvel album, A Short album about love, est pour sa part entièrement ancré dans la réalité, si tant est qu’on puisse utiliser un terme aussi grossier. Au menu : des petits morceaux de mon âme, servis avec un orchestre et des frites à emporter, s’il vous plaît Madame.
Ma barbe vous devez avoir remarqué cet élégant buisson sur mon menton fait partie de cette nouvelle humeur. Depuis que j’ai été abandonné par la très obligeante Gudrun, ma promise autrichienne, ma barbe est devenue le réconfortant compagnon à fourrure de mes heures solitaires. Un peu comme si j’avais un petit chien, un terrier peut-être, cramponné à mon menton. Je le caresse assez fréquemment, mais je n’ai pas été jusqu’à lui donner un nom ou à le vermifuger. Je suis donc célibataire et je n’aurai sans doute jamais d’enfants. Quoi qu’il en soit, si demain je change d’avis et qu’une portée de petits Hannon s’agrippe à mes jambes, chacun exigeant son costume de scène personnel et son propre orchestre, je répondrai tranquillement mais fermement : « ALLEZ VOUS FAIRE FOUTRE ! »
Ayant parfaitement gobé la légende selon laquelle les orchestres sont de gigantesques cirques du sexe pleins d’hommes débauchés et de femmes débauchantes, je m’attendais à danser le fandango pendant six jours complets lors de mes sessions avec les trente musiciens de A Short album about love. Imaginez quel ne fut pas mon désespoir héroïquement dissimulé quand une cargaison de mères de famille et de plombiers se sont pointés au rendez-vous en question. Bon, je ne suis sans doute pas très charitable envers les hommes ils étaient finalement plutôt mignons et affectueux, sans doute en rapport avec le chef d’orchestre homo. Mais les femmes beeeeuuuurk ! Chacune d’entre elles avait l’air profondément séduisant de ces paysannes qui brassent leur propre bière au fond de la cour avec dans le rôle des ingrédients quelques kilos de patates, de la colle et de la boue. J’ai donc chanté de tout mon coeur puis je suis parti précipitamment avant que ces femmes terribles n’aient le temps de m’offrir un pot pour fêter la fin de l’enregistrement.
Quand j’y pense, le départ de ma copine Gudrun m’a permis de cultiver un certain nombre de hobbies. A part le Scrabble éternel jeu favori de l’outsider élégant , j’ai commencé à m’adonner au plaisir coupable du Tetris. Je ne voudrais pas paraître trop technique, mais j’ai quand même réussi à atteindre le niveau 7. Il me reste encore à prendre le fameux vaisseau spatial plein de chèvres qui, comme par magie, me transportera jusqu’au niveau 8. Résultat de cette pratique : l’influence du Tetris dans mes dernières oeuvres. J’ai par exemple essayé de reproduire dans les parties de cordes la tactique qui consiste à « mettre une pièce rectangulaire dans l’espace où devrait s’imbriquer une pièce à angle droit ». Le Tetris a également pour effet secondaire fâcheux de rendre mes concerts assez pénibles : j’y suis toujours tenté de réarranger le public en un bloc bien compact, afin de faciliter le passage au niveau supérieur qui pourrait bien être le rappel.
Bref. Ces courses en solitaire ont malheureusement un peu tendance à me rendre pâle et physiquement faible, ce qui n’est pas passé inaperçu au sein de ma maison de disques. Les maisons de disques s’inquiètent toujours beaucoup de la santé de leurs stars c’est vrai, une toux sèche ou un éternuement irrespectueux à une cérémonie de remise de prix pourrait très mal finir : une statuette qui tombe par terre, un présentateur couvert de mucus disgracieux. Donc, sur l’insistance de ma manageuse et, croyez-moi, elle est effroyablement pressante , on m’a assigné un moniteur de gymnastique pour une période d’essai gratuite de trois jours. Tout de suite, Anton a remarqué ma mauvaise volonté quand je lui ai claqué la porte en pleine figure, il est tombé à genoux et a hurlé « Je comprends tes craintes » à travers le trou de la boîte aux lettres. Quelques heures plus tard, après qu’il a gagné ma confiance en m’expédiant quarante Marlboro light à travers la boîte aux lettres, on s’est mis à se renvoyer sa gentille baballe dans ma garçonnière spatiale, puis nous avons discuté longuement de l’écoeurante multiplicité des sports envisageables. Après avoir éliminé le jogging, le vélo, le tennis, les haltères, la boxe, le skate, le javelot, les boules, la crosse canadienne, la natation synchronisée, le lancer de tronc, la broderie à grande vitesse, Anton et moi nous sommes mis d’accord pour dire que le jet-ski serait mon sport idéal.
D’abord, c’est le moteur Honda qui fait tout le boulot et ensuite, bien installé sur l’engin, je peux me la jouer vedette de télé dans Deux flics à Miami. On passera rapidement sur l’ignominie des combinaisons particulièrement celles qu’on a vite fait d’enfiler à l’envers, la partie galbée pour de coquines fesses de rock-star pendouillant mollement à l’entrejambe. Mieux vaut également oublier ma petite tirade habituelle pour expliquer que le caoutchouc rose ne fait pas du tout partie des matières vestimentaires qui m’avantagent. Mais pour en revenir au coeur du sujet, mes souvenirs de jet-ski ont un rapport direct avec le concept de la chanson If… sur mon nouvel album. L’idée en a jailli dans mon esprit alors que je fendais les flots bruns et dégueulasses de la Tamise à califourchon sur ma bestiale Honda. « Neil, me suis-je dit, tu pourrais mourir demain ! Ton temps est précieux. Pour ton nouveau morceau, tu dois absolument assembler en une seule et grande chanson tous ces fragments de mélodies qui traînent dans ton esprit. » Alors que je plongeais tête la première dans la légendaire voie navigable londonienne, saccageant d’un coup barbe et coiffure pour lesquelles, assez inconsidérément, la combinaison de jet-ski n’offrait pas la moindre protection , je réalisai que j’avais pris là la bonne décision.
J’ai sans doute l’air un peu léger quand je parle du processus d’enregistrement de mes disques. En vérité, c’est quand même plus compliqué que ça : j’ai mis mon coeur, mon âme et mes parties viriles dans ces sept chansons. Avec Someone, je crois que j’ai réussi la chanson la plus admirable de ma carrière. Le Times a même été assez généreux pour dire que cette chanson ressemblait à une conversation postcoïtale avec Dieu. Des grosses conneries, évidemment. Dieu et moi n’avons jamais couché ensemble vous imaginez ça : nos barbes enchevêtrées comme par un bizarre effet velcro…
Voilà : j’espère que j’ai réussi à apporter un éclairage intime sur six mois étourdissants du monde de Neil Hannon je resterais volontiers plus longtemps pour vous raconter mes histoires de folie chargées en opium avec les Spice Girls, mais le Tetris m’appelle. Il faut absolument que j’arrive à ouvrir une brèche dans le vaisseau spatial plein de chèvres et je ne connaîtrai la paix que lorsque j’y serai parvenu. Adieu, my loves.
Traduction Anne-Claire Norot
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}